ACTUALITE NATIONALE

ACP bulletin 20/04/98

Conférence de presse du ministre du Plan sur le retrait de la mission d’enquête de l’ONU

«Mesdames et Messieurs de la presse tant nationale qu’internationale,

Je vous ai invités aujourd’hui afin de vous donner des éclaircissements au sujet de la question de la mission d’enquête envoyée par le Secrétaire général des Nations Unies en République Démocratique du Congo depuis juillet 1997 et qui nous préoccupe actuellement. En effet, nul n’ignore qu’en juillet 1994, l’opération Turquoise commanditée et dirigée par la France et cautionnée par l’ONU a transféré la tragédie rwandaise sur le territoire congolais. Ainsi, des Rwandais innocents ont été forcés de quitter leur pays pour servir de «boucliers humains» à ces génocidaires, entrés chez-nous avec tout leur arsenal militaire sans en être dépourvu par ces forces présentes de l’ONU, car décidés de continuer leur sale besogne à partir du et/ou sur le territoire congolais. Ces flux massifs ont directement déclenché une série des fléaux dont le choléra qui a coûté la vie à plus ou moins 45.000 âmes, rwandais et congolais confondus. Des camps ont été vite érigés, par les organisations humanitaires, à côté de la frontière internationale rwando-congolaise pour permettre des infiltrations au Rwanda dans le but de reconquérir le pouvoir de Kigali. Le Gouvernement intérimaire rwandais (GIR) en exil, par le biais des interahamwe et des ex-FAR, a organisé politiquement et militairement ces soi-disant camps des réfugiés, au vu et au su de ces forces multinationales de l’opération Turquoise et des acteurs humanitaires mais curieusement sans aucune dénonciation de leur part. Beaucoup d’éléments des ex-FAR et des interahamwe se sont infiltrés dans plusieurs communes congolaises (Masisi, Rutshuru, Kalehe, Uvira, etc...) pour tuer des Congolais, piller leurs biens, occuper leurs champs et maisons, etc... sans en être empêchés ni par les troupes de l’ONU ni par les Forces armées zaïroises (FAZ) qui, pourtant le pouvaient. Ces soi-disant camps des réfugiés sont devenus de grands marchés et abattoirs des biens et bêtes pillés des Congolais, soutenus et financés par certains organismes humanitaires. La faune et la flore dans cette partie de notre pays n’ont pas été épargnées de sorte que dans les deux Kivu, la vie s’est arrêtée. Ces violations graves ont été quand même dénoncées par certains humanitaires qui, malheureusement, ont été incapables de les juguler. Bien qu’informés régulièrement, l’ONU et/ou certains de ses membres n’ont rien fait pour arrêter ce drame. Au contraire, quelques membres de la Division spéciale présidentielle de Mobutu regroupés au sein du Contingent zaïrois pour la sécurité des camps (CZSC) et payés par l’ONU ont pactisé avec les ex-FAR et les interahamwe pour exacerber la crise au lieu de la freiner.

Ils ont :

- accéléré les infiltrations d’éléments armés dans les préfectures rwandaises limitrophes du Kivu, la livraison d’armes et le recrutement des jeunes;

- bloqué le rapatriement volontaire des Rwandais;

- déporté ou tué massivement des Congolais, surtout tutsi vers le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi.

Malheureusement, cette aggravation de la situation n’a incité aucune réaction de la communauté internationale malgré l’insistance de la presse qui n’a pu que se limiter à la dénonciation de ces faits.

Mesdames et Messieurs,

Fatigués de ce silence coupable de la communauté internationale face à ces violations ; graves de leurs droits, les Congolais se sont mis débout pour non seulement se libérer mais aussi les Rwandais innocents gardés forcément comme réfugiés par les ex-FAR, les ex-FAZ et les interahamwe pour des raisons politico-militaires notoires. Ces nationalistes regroupés au sein de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo ont vite déclenché la guerre à partir d’Uvira, le 1er septembre 1996 en protection des Tutsi dénommés «Banyamulenge» entrain d’être exterminés et/ou déportés vers les pays voisins par la coalition des Forces armées zaïroises, des ex-Forces armées rwandaises et des interahamwe. La guerre a bien évolué en faveur de l’AFDL qui, grâce à l’appui de certains Africanistes, est parvenue à moins de deux mois à s’emparer d’Uvira, de Bukavu, de Goma et de Bunia et à rapatrier plus ou moins un million des Rwandais bien que leurs camps aient été fort militarisés par la coalition précitée pour contrecarrer l’avancée des libérateurs. L’AFDL a fait ce qu’elle a pu pour sauver beaucoup d’âmes et les honnêtes responsables des agences humanitaires pourraient le témoigner. Par contre, ceux qui ont continué avec les ex-FAR, les ex-FAZ et les interahamwe ont presque tous péri de fatigue, de faim, des maladies ou de balle, etc... Et ce sont ces morts jonchant la trajectoire des armées vaincues que certaines puissances de l’ONU, mécontentes de notre victoire sans leur participation, tentent de vouloir imputer à notre gouvernement de salut public. Pour y arriver, ces puissances mal intentionnées ont influencé les autres membres de l’ONU pour voter la résolution d’envoyer en République Démocratique du Congo une mission d’enquête sur les massacres des réfugiés rwandais au lieu de renforcer le Tribunal d’Arusha institué pour juger les auteurs. Pourquoi cette enquête en République Démocratique du Congo, alors que les auteurs sont les mêmes que ceux qui ont planifié et exécuté le génocide rwandais, avec l’appui de ceux qui nous accusent aujourd’hui ? A moins qu’il s’agisse peut-être de compter le nombre des victimes et d’évaluer les dégâts. Ne se reprochant de rien, le gouvernement de salut public a accepté cette enquête. Malheureusement, depuis son arrivée, l’équipe d’enquête au service et sous l’influence de certains auteurs invisibles de la tragédie rwando-congolaise ne fait que créer des problèmes au gouvernement congolais. C’est pourquoi, le gouvernement de la République Démocratique du Congo qui s’inquiète du retrait de la mission d’enquête des Nations Unies, sans motifs réels et valables, attire l’attention du Secrétaire général sur les points suivants :

1. Depuis son arrivée en République Démocratique du Congo, en juillet 1997, l’équipe d’enquête, n’ayant aucun plan de travail n’a jamais cessé de violer expressément les protocoles d’accord qui nous régissent et ceci dans le but de s’éterniser sur le territoire congolais.

2. Engagé à faciliter toujours les travaux de cette équipe, le gouvernement de la République Démocratique du Congo a maintes fois toléré ces violations jusqu’à accepter de modifier souvent certains termes desdits protocoles; la période et l’espace sur lesquels s’étend l’enquête en sont des exemples frappants.

3. Après quatre mois de travail dans la seule province de l’Equateur, la mission d’enquête a dû y quitter volontairement par crainte de la population locale qu’elle venait d’insulter par la profanation de son cimetière traditionnel situé à Wendji-SECLY, le prétendant être «une fosse commune» où seraient enterrés les réfugiés rwandais. L’équipe des enquêteurs est rentrée clandestinement de Mbandaka à la veille de sa réconciliation avec la population blessée par l’insulte délibérée de profanation du cimetière à Mbandaka.

4. Le 12 février 1998, l’équipe d’enquête a eu l’autorisation officielle de se rendre et de travailler dans les deux provinces du Kivu et à Kisangani. Malheureusement, jusqu’à ce jour ces enquêteurs n’ont jamais été ni à Bukavu ni à Kisangani. Les raisons n’ont jamais été communiquées au gouvernement.

5. Le 4 février 1998, le gouvernement de la RDC a octroyé des laissez-passer à cinq enquêteurs pour se rendre en République Centrafricaine.

6. Entré comme touriste en République Démocratique du Congo, avec un passeport canadien, Monsieur Christopher Harland est devenu ensuite enquêteur des Nations Unies, bénéficiant ainsi d’un laissez-passer y relatif.

7. Le gouvernement de la République Démocratique du Congo qui a toujours autorisé, sur leur requête, aux enquêteurs de l’ONU de se rendre dans les pays voisins comme le Congo-Brazzaville, la République Centrafricaine... ne pourrait pas leur refuser de visiter le Rwanda s’ils le lui avaient demandé.

8. Après 13 jours de travail à Goma (Nord-Kivu), Monsieur Christopher Harland s’est rendu au Rwanda voisin, sans autorisation préalable du gouvernement congolais qui a le devoir d’assurer sa sécurité et celle de ses collègues conformément aux accords intervenus entre le gouvernement de la République Démocratique du Congo et la mission d’enquête.

9. Pour sortir de la province du Nord-Kivu, Monsieur Christopher Harland a manipulé les services de sécurité de nos deux pays par l’exhibition de son passeport des Nations Unies (LP n° 52805) à la frontière congolaise et de celui du Canada (BC 051952) au poste rwandais.

10. Au terme de la lecture et examen du passeport canadien qui lui a été présenté, le service rwandais d’immigration a constaté qu’il n’y avait aucune trace attestant le passage de Monsieur Christopher Harland à la frontière congolaise.

11. Devant cette irrégularité dont l’auteur n’a pas révélé les motifs, le Rwanda n’a fait que le renvoyer au Congo pour se conformer à la routine transfrontalière.

12. A son arrivée à la frontière congolaise, Monsieur Christopher Harland a présenté les deux passeports au service d’immigration. L’Utilisation tantôt alternée tantôt simultanée de deux différents titres de voyage a attiré l’attention de nos services frontaliers. Incapables de savoir si celui-ci était enquêteur ou touriste, nos services ont transmis leur rapport à la hiérarchie qui a demandé à Monsieur Christopher Harland de descendre à Kinshasa pour régulariser sa situation.

13. Arrivé à l’aéroport de N’Djili, Monsieur Harland a refait la même erreur en présentant les deux passeports à nos services de sécurité. Ces derniers l’ont directement suspecté jusqu’à lui demander d’ouvrir ses bagages.

14. Devant le refus persistant de ce Monsieur d’ouvrir ses bagages, nos services de sécurité, conformément aux dispositions réglementaires de l’article 36, alinéa 2 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques concernant le bagage personnel de l’agent diplomatique et sur celles de l’article 35, paragraphe 3 de la Convention de Vienne du 26 avril 1963 sur les relations consulaires concernant la valise diplomatique ont demandé à ce suspect d’ouvrir lui-même ses colis. Le refus de les ouvrir lui a fait perdre beaucoup de temps à l’aéroport jusqu’à ce que les autorités supérieures sont intervenues pour son relâchement. Aucun de ses documents n’a été ni lu ni photocopié, comme le prétendent les responsables des Nations Unis car les quelques mallettes fouillées en sa présence ont été ouvertes et refermées par lui-même.

15. Pour des fautes commises par eux-mêmes, les enquêteurs et les autorités des Nations Unies se sont toujours permis d’accuser faussement le gouvernement de la République Démocratique du Congo malgré sa bonne volonté permanente de coopérer pleinement avec eux pour la réussite effective de cette mission.

16. Fatigué de ces fausses accusations répétées régulièrement qui ne visent que son incrimination par quelques lobbies membres de l’ONU, le gouvernement de la République Démocratique du Congo qui est un Etat souverain, ne devant rien à personne, dénonce ces attitudes rétrogrades dont l’objectif n’est que l’handicap de la reconstruction du Congo Démocratique détruit par le régime de Mobutu appuyé par ces mêmes lobbies.

17. Enfin, toujours disposé à contribuer à la réussite de cette enquête, le gouvernement congolais espère que l’ONU parviendra à dégager objectivement les responsabilités et à punir d’une manière exemplaire les auteurs et à indemniser les victimes dont le peuple congolais.

Fait à Kinshasa, le 18 avril 1998.

Prof. Etienne-Richard Mbaya».