16 octobre 1998
Allocution devant les ambassadeurs et les corps diplomatiques par le
ministre de l'information du DRC, M. Didier Mumengi
LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO FACE A UNE AGRESSION ETRANGERE
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Plus personne n'en doute, la République Démocratique du Congo a été
envahie et se trouve encore occupée par des unités régulières des armées
ougandaise, rwandaise et burundaise. Les agresseurs eux-mêmes l'ont
reconnu et des observateurs impartiaux l'ont établi. Bien que par
mauvaise
foi d'aucuns accréditent l'idée d'une rébellion congolaise indépendante
de
toute manipulation extérieure, je voudrais porter à votre connaissance
des
faits qui prouvent que l'agression rwando-ougandaise est l'aboutissement
d'un complot ourdi de longue date.
Début août les soldats rwandais invités à rentrer dans leur pays
provoquent une émeute à Kinshasa ; pendant ce temps à l'Est du pays des
troupes et du matériel rwandais et ougandais s'emparent de Goma et
Bukavu,
ralliées par tous les officiels Banyarwanda qui étaient en poste à
Kinshasa.
Avant-hier à Libreville au Gabon s'est tenu, à l'initiative du Président
Omar Bongo, un sommet où la situation et la position de mon pays ont été
enfin bien comprises, après les premiers pas de Victoria Falls I et II,
Durban, Addis-Abeba et l'Ile Maurice.
Les Chefs d'Etat et de délégation présents ont réaffirmé leur
attachement
au règlement des différends locaux et des conflits internationaux par le
dialogue et la négociation. Ils ont apporté leur appui au Président
Laurent-Désiré KABILA et ont condamné l'agression contre la République
Démocratique du Congo et les ingérences caractérisées dans les affaires
intérieures de ce pays.
De ce fait, ils ont appelé :
au retrait des forces étrangères d'agression ;
à un cessez-le-feu;
au respect de l'intégrité territoriale de notre pays;
à la poursuite du processus de démocratisation engagé par le Gouvernement
de la République Démocratique du Congo.
Ils ont souligné la nécessité d'une action concertée entre les pays de
l'Afrique centrale, les Etats membres de la SADC, l'OUA et l'ONU, et tous
ceux qui s'emploient à trouver une solution à la crise congolaise.
C'est dans cet esprit que les chefs d'Etat et de délégation d'Afrique
Centrale ont décidé de créer un comité de suivi et de concertation sous
la
présidence du Président de la République gabonaise, Son Excellence El
Hadj
Omar BONGO, et réaffirmé le bien-fondé de la mise en place d'une force
régionale de maintien de la paix.
Ils ont également lancé un appel à la communauté internationale afin
qu'elle soutienne les initiatives diplomatiques en cours et qu'elle
s'abstienne de prendre des décisions partisanes de nature à prolonger
les
souffrances du Peuple congolais et celles des peuples des Etats voisins.
A Libreville, l'Afrique du bon sens et de la maturité a exprimé son
soutien à un peuple injustement agressé et aujourd'hui précité dans
l'abîme de la misère dont elle commença à se dégager ; elle a saisi les
véritable enjeux de cette guerre et puisé dans les grands principes
l'humanisme planétaire pour jeter les bases d'une paix durable dans la
région.
Je me propose d'exposer les causes réelles de cette guerre et d'en
expliciter les enjeux en développant trois points :
les racines historiques : une diaspora hégémonique ;
du génocide à l'expansionnisme ;
quels lendemains ?
Les racines historiques : une diaspora hégémonique
Comme le rappelle l'historien congolais Isidore Ndaywel, la frontière
avec
l'ancienne possession allemande appelée Rwanda-Urundi date de la
Convention
signée par Léopold II le 8 novembre 1884. Et cette frontière, comme les
autres, sera entérinée et proclamée intangible à l'accession des pays
africains à la souveraineté internationale.
Mais que s'est-il passé à cette frontière depuis sa fixation ? De
vastes
et incessants mouvements de populations s'y sont opérés. A partir des
années 30, une forte immigration rwandaise s'implante sur le territoire
du
Congo-Belge d'alors, à l'instigation de la puissance coloniale. Cette
transplantation de populations obéit à deux motivations. D'abord,
soustraire les populations aux famines qui frappaient régulièrement le
Rwanda-Urundi, par ailleurs surpeuplé ; ensuite fournir une main-d'oeuvre
aux plantations du Kivu et à l'industrie minière du Katanga.
L'année 1937
voit la création de la MIB : "Mission d'Immigration des Banyarwanda".
Fruit
d'un accord entre les autorités belges du Rwanda, les autorités
administratives du Kivu et le Comité National du Kivu, cette mission se
voit chargée de gérer l'immigration rwandaise dans le Masisi.
La création de la MIB servira de cadre à une politique d'implantation
systématique, avec des consignes précises aux agents de la mission :
recrutement et formalités à l'arrivée, organisation des zones
d'immigration, régime foncier à appliquer, etc...
A ce caractère systématique et organisé s'ajoute l'ampleur même du
phénomène : plus de 25.000 Rwandais entre 1937 et 1945, 60.000 entre 1949
et 1955.
A côté de cette immigration que l'on peut qualifier d'économique,
signalons l'afflux de réfugiés fuyant les troubles ethniques au Rwanda.
Dès
1958, plusieurs camps au Kivu abritaient des réfugiés rwandais. En 1962,
le
HCR en dénombrait 60.000 dont 30.000 dans le territoire de Kalehe, 20.000
dans celui d'Uvira et plus de 10.000 à Goma.
Plusieurs conséquences découleront de cette transplantation massive de
populations.
Première conséquence : juxtaposition de populations
rwandaises
avec les peuples autochtones eux-mêmes différents : Nande, Bashi, Fulero,
etc... Il y aura des problèmes de cohabitation et d'intégration au
nouveau
milieu et à ses contraintes socioculturelles.
Deuxième conséquence liée à la précédente : des clivages
apparaissent dans le nouvel espace socioculturel où vont s'affronter deux
types de gestion de l'espace et deux modes d'exercice de l'autorité.
Administration indirecte au Rwanda qui est un protectorat, colonisation
directe au Congo qui est une colonie. Ici les populations locales sont
dépossédées de leurs terres par le colonat en quête de plantations ainsi
que par l'administration cherchant des espaces pour des parcs nationaux.
Un clivage opposera notamment le système pastoral caractéristique des
immigrés rwandais au système agricole local entraînant des problèmes de
pâturage et de terres cultivables. Un autre clivage portera sur le droit
coutumier d'usage des terres sous l'autorité du Mwami, autorité méconnue
par les immigrés rwandais qui reçoivent directement des terres des mains
de
l'autorité coloniale. Des germes de conflits sont ainsi inoculés.
Troisième conséquence : les conflits ethniques et les
problèmes sociaux rwandais, reposant sur des considérations historiques
et
biologiques encouragées par la tutelle belge, vont être exportés au
Congo.
L'opposition Hutu-Tutsi est reproduite chez nous avec toute sa charge
affective et ses discriminations,. Déjà à la fin des années 50, des
observateurs impartiaux désignent les camps de réfugiés comme des foyers
de
trouble et d'agitation permanents. Un rapport de l'AIMO (Affaires
Indigènes
et Main-d'Oeuvre) s'émeut du nombre trop élevé de Tutsi dans le Masisi (
72% contre 28% de Hutu) et le Gouverneur Général préconise "d'enrayer
énergiquement l'exode des Batutsi et de leurs troupeaux".
Cette hostilité à l'égard de populations Banyarwanda va s'aggraver au
lendemain de l'Indépendance de notre pays, sous l'action de trois
facteurs.
* Le premier de ces facteurs est la constitution et l'émergence d'une
élite
Banyarwanda qui s'impose dans la politique, l'administration et le
commerce. Son influence et ses intérêts s'exercent dans un contexte
marqué
par des clivages politiques et tribaux souvent violents.
*Le second facteur tient au fait que les Banyarwanda forment une
diaspora
et se comportent comme tels. Ils placent l'enracinement de leur
nationalité
congolaise à l'aune de leur dextérité a pouvoir tenir en laisse le
pouvoir
central à Kinshasa, en s'appuyant sur Kigali. Ce fait apparaît dans le
rejet, par l'élite politique Banyarwanda, en 1962, du projet de
démembrement de la Province du Kivu. L'hégémonie des Banyarwanda sur la
haute administration à Léopoldville et dans l'administration provinciale
au
Kivu même et en Province Orientale ainsi que dans les entreprises au
Katanga, les poussaient à souhaiter une province unique sur laquelle
s'exercerait cette volonté hégémonique.
Constituée en diaspora donc, la communauté Banyarwanda apparaît comme
une
entité sociologique et culturelle distincte du milieu local à laquelle
elle
s'est peu intégrée. Il faut remarquer que l'hostilité des autochtones à
l'égard des Banyarwanda au Kivu comme ailleurs dans le pays, contraste
avec
l'harmonieuse cohabitation avec d'autres communautés immigrées telles que
les Angolais et les Ouest-Africains. Cette faible intégration et ce
comportement hégémonique doivent être pris en compte. Une entreprise
comme
Télécel était à 80 % composée de Rwandais et elle a pris part au complot
ourdi contre l'Etat congolais.
Sans vouloir justifier une quelconque xénophobie, je rappelle que dans
les
années 80 en Ouganda, des ressortissants d'origine rwandaise furent
expulsés, chassés de l'armée et de la fonction publique. Aucun acte de
cette nature ni de cette ampleur n'a jamais été perpétré en République
Démocratique du Congo. Ceux que nous avions associés au pouvoir ont
eux-mêmes trahi la nation et quitté collectivement le pays. On peut se
poser du reste la question de leur loyauté qui s'est avérée exclusive à
l'égard du pays d'origine. Dans vos pays aussi on attend des immigrés
qu'ils manifestent une effective volonté d'intégration et une loyauté
sans
ambiguïté à l'égard du pays d'accueil.
* Troisième facteur de l'hostilité, la rivalité entre les Banyarwanda et
les
populations autochtones, en particulier les Banande, pour le contrôle des
espaces politiques et commerciaux dans la région.
L'hégémonie des Banyarwanda atteint son apogée sous le régime de Mobutu
qui, en 1969, nomme le tout-puissant Bisengimana au poste de Directeur du
Bureau de la Présidence.
Pour Mobutu, le statut minoritaire des Banyarwanda ne représentait aucune
menace pour son pouvoir; c'est à dessein que dès 1966, il entreprend de
renforcer leur ascension politique et leur expansion commerciale.
Bisengimana va s'employer à asseoir la mainmise des Banyarwanda, en
particulier des Tutsi, pour lesquels il obtiendra, contre le bon sens le
plus élémentaire, une naturalisation collective en 1972. Du jour au
lendemain, près de 300.000 Banyarwanda deviennent Congolais et se
trouvent
principalement dans le Masisi et un peu dans les territoires de Rutshuru,
Walikale et Goma.
Ainsi, à titre d'illustration comme le rappelle le chercheur belge
Jean-Claude Willame, le Masisi << qui était antérieurement le lieu où les
affrontements de nationalité étaient les plus durs, change littéralement
de
"propriétaire". La population d'origine rwandaise devient majoritaire
sans
coup férir, ce qui pouvait être regardé par les autochtones Hunde et
Nyanga
comme une consécration de leur statut de "minorités" .
Après la naturalisation collective en 1972 survient la zaïrianisation
l'année suivante. Au Kivu, sous le parrainage bienveillant de
Bisengimana,
ce sont surtout les Banyarwanda qui seront acquéreurs de plantations et
entreprises arrachées aux Européens. Ils seront plus de 90% à acquérir
des
biens dans les territoires de Masisi et Rutshuru.
Dans le Masisi, ils contrôleront jusqu'à 45% de terres disponibles et
ailleurs dans le Kivu on les verra accaparer de grandes sociétés
manufacturières.
Plus que par le passé, le Kivu devient une région à hautes tensions
ethniques, la nationalité et l'hégémonie des Banyarwanda, en particulier
tutsi, sont des bombes à retardement.
Le 29 juin 1981, après des contestations et des discussions, le Conseil
Législatif annule la Loi de 1972 qui accordait aux Banyarwanda une
naturalisation automatique et collective.
Cette même année 1981, se produit un fait qui n'est peut-être pas sans
rapports avec la situation actuelle dans mon pays : un groupe appelé
"Peuples d'origine rwandaise au Zaïre" adresse au Secrétaire Général des
Nations-Unies une lettre dans laquelle il demande de pouvoir "créer un
Etat
séparé et indépendant au Nord-Kivu".
Du génocide à l'expansionnisme
Certains observateurs établissent un lien entre tous ces faits et un
plan
de colonisation du Kivu en vue de la renaissance et de l'expansion de
l'empire Hima. Beaucoup d'entre vous ont sans doute entendu parler de ce
texte. Quoiqu'il en soit de son authenticité, certains faits doivent être
soumis à l'analyse :
+ il a existé et il existe en République Démocratique du Congo une
diaspora rwandaise qui a toujours entretenu des rapports conflictuels
avec
les peuples autochtones;
+ à cette diaspora, se sont joints, par vagues successives, des
réfugiés qui
ont parfois abusivement revendiqué la nationalité congolaise et se sont
confondus avec la diaspora en question;
+ lorsque le F P R a commencé sa guerre
de conquête du Rwanda, beaucoup de
jeunes Banyarwanda du Kivu sont allés
combattre sous ses drapeaux,
manifestant à l'égard de leur pays
d'origine une loyauté qui aujourd'hui
révèle sa véritable portée;
+ après la mort du Président Habyarimana
et le début du massacre de Tutsi et
Hutu modérés, l'Est de la République
Démocratique du Congo
A accueilli plus d'un million de réfugiés,
en mettant en péril l'équilibre écologique
et sociologique de la région. Plus
qu'avant ces populations se sont
comportées comme en terrain conquis,
exacerbant encore davantage les conflits
ethniques.
C'est dans ce contexte qu'une communauté d'intérêts s'est dessinée
face
à la dictature de Mobutu qui opprimait le peuple congolais et laissait
faire la rébellion rwandaise dans son oeuvre de déstabilisation du
Rwanda.
Une alliance s'est nouée et les patriotes congolais en lutte pour la
libération du pays en ont tiré un profit évident en termes de sources de
ravitaillement et d'encadrement de troupes.
L'histoire de l'humanité est pleine de ce type d'alliance face à un
ennemi commun, de la Guerre civile espagnole à la Seconde Guerre
mondiale,
en passant par la Révolution cubaine, l'éviction d'Obote en Ouganda ou le
démantèlement de l'apartheid. Aucun peuple ne s'est libéré seul; il a
toujours fallu s'appuyer sur des alliés pour bénéficier de bases arrière
de
ravitaillement, obtenir du matériel ou des troupes.
Mais l'histoire est également pleine d'exemples d'alliances qui ont été
rompues ou se sont soldées par un affrontement entre les anciens alliés.
Une telle détérioration est possible à cause de la mauvaise foi et de la
duplicité de l'un des alliés, ou encore du contraste trop grand entre les
intérêts communs et les intérêts particuliers. On a vu en 1939 les
Allemands signer un pacte de non-agression avec les Soviétiques mais un
an
plus tard, les chars de Hitler envahissaient l'Union Soviétique à la
grande
stupéfaction de Staline. Plus près de nous, alliées dans la guerre de
libération, l'Ethiopie et l'Erythrée sont aujourd'hui presqu'en état de
guerre à cause d'un différend territorial.
Il faut l'avouer, les patriotes congolais, en signant les accords de
Lemera consacrant la création de l'AFDL, étaient de bonne foi mais
celle-ci
a été surprise. Je n'en veux pour preuve que l'hypocrisie et la duplicité
affichées par les autres signataires de Lemera. Alors qu'une confiance
totale leur était accordée et une chance leur offerte d'intégrer la
communauté nationale congolaise, les Banyarwanda gardaient leur loyauté à
l'égard du Rwanda et ourdissaient un complot contre le jeune et nouveau
régime. Comment ne pas penser que derrière l'intérêt commun du moment et
l'alliance de circonstance se cachait la félonie la plus abjecte et le
projet le plus machiavélique de traiter la République Démocratique du
Congo
en néo-colonie, de s'emparer de tout ou d'une partie de son territoire ?
Ainsi la diaspora rwandaise tutsi, que nous croyions pouvoir intégrer à
la
nation congolaise, s'est révélée être la tête de pont d'un Rwanda
expansionniste, l'instrument de la conquête du Kivu et des velléités de
colonisation de la République Démocratique du Congo. Que les Bugera,
Karaha
et autres Ruberwa aient comploté depuis des mois prouve que l'intégration
à
la nation congolaise ne leur suffisait pas. Ils voulaient placer cette
nation sous la coupe de leur pays d'origine.
Qu'on ne nous dise pas que la coalition rwando-ougandaise a agressé le
Congo pour appuyer une rébellion et aider à résoudre des problèmes
internes
à notre pays. En République Démocratique du Congo le calme régnait, la
reconstruction était en marche et le processus de démocratisation allait
déboucher incessamment sur l'installation d'une Assemblée Constituante
avant la tenue d'élections. Aucun calendrier du genre n'existe au Rwanda
ni
en Ouganda, où par ailleurs, des attentats quotidiens aggravent
l'insécurité. S'il y a des problèmes internes à résoudre, c'est bien dans
ces pays-là.
Le Rwanda et l'Ouganda se sont-ils estimés peu sécurisés à la frontière
avec la République Démocratique du Congo ? On peut l'admettre mais
imputer
cela à la République Démocratique du Congo confine à l'absurde. Si la
frontière avec le Rwanda n'a pas été sécurisée, ne faut-il pas incriminer
les comploteurs rwando-ougandais qui étaient à la tête de l'Armée ou dans
les services de sécurité de la République Démocratique du Congo ? Plutôt
que d'assurer la sécurité des trois pays, les agents rwando-ougandais se
sont attelés à leur véritable mission de taupe : saboter l'Armée,
désorganiser la diplomatie, déstabiliser l'Etat congolais en vue de
l'agression actuelle.
L'insécurité au Rwanda et en Ouganda est la conséquence des
contradictions
internes dans ces pays, où une bonne partie de la population reste exclue
du pouvoir. Attribuer cette insécurité à la République Démocratique du
Congo, c'est poser le problème par l'effet plutôt que par la cause. Et
c'est commettre une faute logique : la sécurisation d'une frontière
commune
ne peut être réclamée d'un seul des pays concernés, en l'occurrence la
République Démocratique du Congo, qui avait convoqué en mai 1998 une
conférence régionale pour traiter de la sécurité et du développement. On
peut raisonnablement penser que le boycott de cette initiative par le
Rwanda et l'Ouganda faisait partie d'un plan prémédité.
Le sort de la minorité tutsi ne pouvait être non plus un prétexte à
l'agression du Congo car notre pays avait entrepris pour cette catégorie
de
la population un projet d'intégration très humaniste. Quant aux
accusations de génocide et de chasse aux tutsi proférées contre les
dirigeants et le peuple congolais, elles suscitent un profond écœurement.
Le Président KABILA et son gouvernement ont eu le courage d'affronter la
colère du peuple congolais offusqué de voir des ressortissants tutsi
accéder aux rênes du pouvoir. Ce choix était une question d'humanisme et
de loyauté envers les partenaires de la guerre de libération.
Le peuple congolais, qui a accueilli en 1994 plus d'un million de
réfugiés
rwandais, est indigné de voir son hospitalité séculaire payée
d'accusations de xénophobie. Le gouvernement congolais se voit taxer de
génocidaire alors qu'il essaie de soustraire les tutsi à la vindicte
populaire, en collaboration avec le CICR. Les agresseurs
rwando-ougandais,
eux, ont exécuté des dizaines d'officiers des Forces Armées Congolaises
parce qu'ils étaient katangais ; ils ont déporté des populations au
Rwanda
et massacré des innocents, dont des religieux, des femmes et des enfants.
Ces forfaits n'ont pas ému grand monde ; ailleurs on les aurait qualifiés
d'épuration ethnique et de crimes contre l'humanité.
Face à l'agression rwando-ougandaise, le silence de la communauté
internationale parle plus bruyamment que les déclarations les plus
belliqueuses. Même les coupures d'électricité et leurs cortèges de
pénuries et de désastres n'ont pas dérangé les bien-pensants. N' y
a-t-il
pas là au mieux un laxisme complice, au pire un encouragement à des Etats
ambitionnant de soumettre leurs voisins ? Sans vouloir comparer
l'incomparable, je constate des similitudes bouleversantes entre la
présente guerre en Afrique Centrale et la terrible épreuve que l'Europe a
endurée voilà cinquante ans. J'espère que par sa vigilance, le monde
évitera une telle souffrance à l'Afrique. Car les prémisses sont déjà là
:
idéologie de la supériorité d'un groupe sur d'autres, mise en application
de cette idéologie dans trois pays, recherche d'espace vital, utilisation
d'une diaspora par son pays d'origine, implication de plusieurs pays dans
le conflit.
A l'indifférence du début a finalement succéder un élan de générosité
que
le gouvernement et le peuple congolais apprécient à sa juste valeur.
C'est
dans le malheur que l'on reconnaît ses vrais amis. Mais pourquoi se
préoccuper uniquement des effets et non de la cause ?
Le peuple congolais, qui n'a pas la mémoire courte, se rappelle qu'il y
a
exactement 20 ans, une insurrection révolutionnaire de patriotes
congolais
contre la dictature de Mobutu avait provoqué une intervention prompte de
forces armées étrangères. Mais aujourd'hui, face à une agression
extérieure
caractérisée, la communauté internationale se tait, mieux elle voit d'un
mauvais œil l'aide apportée par nos frères de la SADC pour sauvegarder
l'intégrité de notre territoire.
Le peuple congolais s'interroge sur ces réticences. Il ne peut
envisager
qu'une éventuelle partition du Congo soit favorablement accueillie par la
Communauté internationale, au mépris des règles du droit international.
Il
attend que la charité dont elle bénéficie avec gratitude se double d'une
justice qui sauvegardera la crédibilité de l'ONU et de toutes les nations
éprises de justice et de paix.
Quels lendemains ?
En 15 mois de pouvoir, après 32 ans de dévastations, d'exactions et de
corruption, l'espoir esquisse ses pas de retour dans notre immense pays.
L'Etat a repris pignon sur rue, avec la refondation de l'Administration
du
territoire, les entreprises sont remises en état, l'inflation est
maîtrisée, une nouvelle monnaie a été créée, la sécurité des personnes et
des biens est de nouveau assurée. Les lignes du futur sont tracées. Je
pense à l'opération cantonnage. Un cantonnier pour 1 Km de route, et ce,
pour réhabiliter 50.000 Km de route. La Ville de Kinshasa, à elle seule,
en
regorge plus de 1.600. Ce qui a redonné à la capitale son visage humain
d'antan. Il y a aussi le Fonds de solidarité pour la reconstruction
nationale. Un élan surprenant de contribution volontariste s'est
enclenché,
et le Congo commençait à expérimenter son aptitude à faire foi en ses
virtualités intrinsèques et à rechercher les premiers outils de
développement dans les possibilités endogènes.
Le calendrier démocratique est plus concret et plus avancé qu'au Rwanda
et
en Ouganda. La dernière mesure en date est la nomination par le Chef de
l'Etat d'une Commission des réformes institutionnelles comprenant des
personnalités de plusieurs sensibilités politiques, y compris des membres
importants de l'ancien Parlement de transition.
Face à l'agression, les réactions de notre peuple, parfois féroces,
hélas,
montre son intransigeance sur la question de l'intégrité de son
territoire.
Croire qu'il fléchira sur cette question, lui imposer d'une manière ou
d'une autre une soi-disant solution politique qui ne rétablit pas la
justice, c'est ouvrir la voie à une haine et une xénophobie qui seront
encore plus fortes qu'avant. Le rejet unanime de la prétendue rébellion
au
Kivu et dans la Province Orientale montre que seul un retrait des forces
rwando-ougandaises peut ouvrir la voie à une paix durable. Si les
arrangements des Etats peuvent être rapides, la haine des peuples, elle
est
souvent vivace. Une solution politique imposée au seul Congo apparaîtra
comme un diktat arbitraire. Le peuple congolais y verrait une politique
de deux poids deux mesures. D'une part la République Démocratique du
Congo
poussée à négocier avec une rébellion fabriquée de toutes pièces et de
l'autre le Rwanda et l'Ouganda encouragés dans leur stratégie répressive
à
l'intérieur et dans leurs visées expansionnistes contre la République
Démocratique du Congo. Les responsables rwandais et ougandais ainsi que
la communauté internationale doivent éviter de faire apparaître le peuple
tutsi comme une minorité conquérante résolue à soumettre les autres dans
certains pays et dans la région. La cohabitation, la paix et le
développement seraient compromis à jamais.
L'agression a été complètement et définitivement défaite sur le front
Ouest. Dans sa débandade et son désespoir, l'envahisseur peut être tenté
par le rêve fou de vouloir s'incruster au Kivu et dans la Province
Orientale. Les déclarations belliqueuses du Rwanda et de l'Ouganda
cachent
un calcul dangereux pour la paix. Qu'il soit clair que les Congolais sont
prêts à mourir jusqu'au dernier et à verser jusqu'à la dernière goutte de
leur sang pour que les collines verdoyantes du Kivu et la Province
Orientale soient débarrassées de toute présence étrangère. Il n'y aura
pas
d'Alsace-Lorraine disputée entre la République Démocratique du Congo et
le
Rwanda.
La sécurité des minorités a toujours été et demeure un souci constant du
Gouvernement congolais mais elle doit faire l'objet d'une approche
globale
; si on tolère l'agression par les pays d'origine des immigrés, on fait
le
lit de l'amertume du peuple congolais qui se voit mal payé de son
hospitalité séculaire.
Ici encore la communauté internationale se concentre sur l'effet et non
sur la cause.
Les rapports conflictuels avec les autochtones, souvent dus à
l'arrogance,
sans oublier la loyauté exclusive envers le pays d'origine, ne sont pas
de
nature à favoriser une cohabitation harmonieuse.
Même dans vos pays, les minorités d'origine africaine ou autres,
rendraient des comptes à l'Etat et seraient en butte à l'hostilité s'ils
se
comportaient comme les Banyarwanda au Congo.
L'utilisation de minorités par leur pays d'origine comme tête de pont
pour
des visées expansionnistes est un danger pour la paix, et la communauté
internationale ne peut s'en faire complice. Certes des précédents
existent, en Europe notamment, mais l'émulation doit être dénoncée et
empêchée.
Quant au Gouvernement de Salut Public, il poursuit sa tâche de
reconstruction et montre une vigilance accrue dans le contrôle des
frontières et la sécurité du pays. La paix et la prospérité dans la
sous-région ont toujours été une des préoccupations les plus constantes
des
nouveaux dirigeants de la République Démocratique du Congo. Mais devant
la
mauvaise foi et la félonie de certains partenaires, force est de rappeler
que la paix en Afrique Centrale ne peut résulter des seuls efforts de
notre
pays. Nous demanderons davantage de garanties pour le respect de notre
territoire et de notre souveraineté; nous n'accepterons plus qu'une
culture
de la haine et du génocide soit exportée chez nous, nous récuserons les
donneurs de leçons qui prétendent résoudre de soi-disant problèmes
internes
au Congo alors que ce sont eux qui font face à une insécurité permanente.
Sur le plan international, la mondialisation est un fait irréversible
dont
les dirigeants congolais mesurent la portée. Ils entendent s'y adapter
par
une diplomatie réaliste et efficace, après le travail de sape accompli
par
l'ancien ministre des Affaires Etrangères.
Dans ce monde devenu "un village planétaire ", le Congo ne va pas à
rebours
de l'histoire en s'enfermant dans une autarcie impossible et suicidaire.
Seulement le Gouvernement congolais se demande si son projet de
reconstruction n'est pas incompris et considéré à tort comme le signe
d'une
volonté isolationniste. Le peuple congolais aspire au bien-être, avec le
soutien des autres peuples du monde. Il veut l'interdépendance à la
place
de la dépendance, il demande le respect à la place du mépris.
Permettez-moi de terminer en rappelant que le conflit actuel était sans
doute prévisible, si l'on considère les conditions dans lesquelles les
populations banyarwanda ont été transplantées au Congo, avec leurs
clivages ethniques.
Il est frappant de voir que la communauté internationale hésite à
condamner l'agression rwando-ougandaise, comme elle avait manqué de
traiter
à temps et correctement le problème de la concentration de réfugiés à la
frontière congolo-rwandaise. Si elle veut prévenir un embrasement
général
et donner des chances à une cohabitation harmonieuse entre les peuples et
les communautés, la communauté internationale doit traiter sans
complaisance les va-t-en guerre.
Le Congo avait convoqué une conférence régionale pour parler sécurité et
développement. Un tel forum reste intéressant, mais comme tout peuple
bafoué dans ses droits, les congolais ne discuteront que lorsque leur
territoire aura recouvré son intégrité.
Je vous remercie.
Didier MUMENGI
Ministre de l'Information et Presse de la République Démocratique du
Congo