MEMORANDUM DE L' "OPERATION SOLIDARITÉ NYIRAGONGO"

Suite à la catastrophe humanitaire créée par l'éruption du volcan « Nyiragongo » à Goma en République démocratique du Congo, le 17 janvier 2002, « Opération Solidarité Nyiragongo », regroupant des Congolais et des Belges soucieux de manifester leur solidarité avec la population sinistrée de Goma, a souhaité proposer une réflexion destinée à éviter l'effet d'aspiration que pourrait entraîner l'organisation d'une aide massive aux réfugiés à l'extérieur des frontières de la RDC. Décidée à apporter préférentiellement son aide aux victimes là où elles se trouvent, elle entend plaider pour que l'aide internationale soit également distribuée à l'intérieur du Congo.

Opération Solidarité Nyiragongo se félicite et prend acte des déclarations spontanées d'aide d'urgence exprimées par différentes organisations non gouvernementales, étatiques et internationales (C.I.C.R., M.S.F., Oxfam, France, Belgique, Union européenne, Norvège, Suisse, RDCongo, ONU, etc.) en faveur de la population sinistrée de Goma. Elle exprime, au nom de la population congolaise, sa reconnaissance envers toutes ces instances.

Alors que plusieurs milliers Congolais s'étaient réfugiés dès le 17 janvier dans la ville de Gisenyi au Rwanda, la communauté internationale a été surprise par le refus d'une population désemparée d'attendre l'aide promise dans les camps installés à cet effet dans l'arrière pays rwandais. Dès le lendemain, la majorité d'entre eux a préféré retourner dans Goma dévasté, préférant affronter la faim, la soif et les intempéries dans leur pays plutôt que l'assistance au Rwanda.

Devant cette situation, certains ont exprimé leur agacement, arguant de ce que le retour des réfugiés au Congo constituait « un casse-tête logistique et sanitaire monumental » pour les agences humanitaires. Dans ce cadre, Madame Lara Melo, porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM) a déclaré : « il n'est pas raisonnable de retourner à Goma ».

Particulièrement préoccupée par la profonde détresse des populations, Opération Solidarité Nyiragongo tient à attirer l'attention de tous sur les enjeux sécuritaires que présente cette situation et qui exige la plus grande prudence de la part des organismes internationaux. En effet, la présence des camps de réfugiés pour Congolais - dont le pays se trouve depuis bientôt quatre ans sous occupation ougandaise, burundaise et rwandaise - au Rwanda risquerait de dégénérer et de menacer davantage la paix et la sécurité régionales déjà fragiles. Dans ce contexte, une grande partie des acteurs agissent depuis quelques jours à Goma, et cela constitue la meilleure solution, tant en termes d'efficacité d'intervention que de prévention. Les éléments ci-après, entre autres, justifient cette option :

- Le mauvais accueil trouvé par les réfugiés de la part de la population rwandaise (humiliations, soupçons, indifférence) et qui les ont obligé à rentrer seulement après un jour ;
- Leur crainte de devenir des otages humanitaires : les chiffres ont été gonflés afin d'attirer les secours (certains ont parlé de 500.000 réfugiés pour une population qui en compte 350.000) ;
- La stratégie des autorités de Kigali visant à empêcher de nombreux réfugiés congolais de regagner la RDC, alors que par le passé elles s'étaient déjà rendues coupables de déportations des populations congolaises vers le Rwanda, afin de favoriser l'implantation de Rwandais au Kivu ;
- Les déclarations du Gouvernement rwandais faisant état de la présence des « Interahamwe », à savoir des miliciens de l'ancien régime rwandais, responsables du génocide commis il y a 8 ans, parmi les réfugiés congolais, ainsi que sa politique d'attribution collective de culpabilité et de représailles sans distinction contre des populations civiles regroupées dans des camps ;
- La pratique constante de l'Etat rwandais d'attaquer à l'arme lourde les camps de réfugiés et déplacés, même ceux qui se trouvaient sous la protection internationale (Kibeho, Mugunga, Kibumba), prétextant de la présence d'éléments armés ;
- Une éventuelle dispersion des réfugiés dans plusieurs camps pouvant échapper à la surveillance de la communauté internationale ;
- L'espace disponible sur le territoire congolais où par ailleurs la réintégration est plus facile qu'à l'étranger. En effet, la reconstruction de Goma peut durer de longs mois, voire des années. A la longue, leur présence prolongée au Rwanda risquera d'engendrer d'autres conflits internationaux. Osera-t-on rappeler que la politisation de la question des réfugiés dans la région des Grands lacs a été à la base de la guerre qui sévit aujourd'hui en RDC ?

Pour toutes ces raisons, Opération Solidarité Nyiragongo exhorte les personnes, les organismes humanitaires, les Etats, ainsi que les Nations unies à tenir compte des propositions ci-après :

1) Que l'aide aux réfugiés congolais soit apportée à la population congolaise, au Congo, et non au Rwanda, conformément aux souhaits des victimes de l'éruption volcanique ;
2) Que des équipes de secours veuillent bien intégrer des volontaires Congolais afin de renfoercer les compétences internationales par une expertise qui pourrait s'avérer particulièrement utile dans l'identification des besoin et dans la communication avec la population ;
3) Que soit effectué dans la mesure du possible un recensement contradictoire pour vérifier que toutes les personnes qui se sont réfugiées dans l'urgence au Rwanda ont pu retourner au Congo ;
4) Enfin, que l'aide soit inscrite dès à présent dans une perspective de reconstruction de la ville de Goma, lorsque l'intervention d'urgence aura été maîtrisée. Afin d'éviter que l'aide humanitaire soit utilisée par les occupants à de fins politico-militaires, celle-ci devra être mise en oeuvre avec le concours des organisations humanitaires présentes ainsi celui de la Société civile du Kivu. Dès lors, il s'avère urgent de profiter de la situation actuelle pour s'impliquer plus activement dans les voies pouvant mettre fin sans attendre à l'occupation du Congo par le Burundi, l'Ouganda et le Rwanda.

Fait à Bruxelles, le 23 janvier 2002.

Pour Opération Solidarité Nyiragongo,

Lambert Paluku Bahwere
Zalugurha B. Tonton
Assumani Budagwa