«Kabila est le seul qui peut réussir la reconstruction du Congo»


Interview avec Ludo Martens, paru dans “Solidarité Internationale”, mensuel de la Ligue Anti-Impérialiste, numéro d’avril 1998

(Resume)

Depuis que les troupes de Kabila ont pu prendre le pouvoir á Kinshasa, Ludo Martens a déjá visité cinq fois le Congo. On s’est entretenu avec lui sur la situation actuelle, la politique de Kabila et les dangers et défis qui se posent pour le nouveau Congo
Tony Busselen

TB: On peut lire dans notre presse que la vie sous Mobutu et celui sous Kabila n’est pas changé au Congo.
LM. La situation est très compliqué mais ceux qui ne cherchent qu’à justifier leur hostilité ou scepticisme vis-à-vis de Kabila emploient ces difficultés à tort. Je vais donner une anecdote qui décrit l’atmosphère. Quand on quitte le pays, il y a de braves gens qui fouillent vos bagages. Un agent fort vigilant a découvert dans mes bagages des journaux publiés à Kinshasa. Il m’a dit qu’il est interdit de sortir des journaux du Congo. Je lui ai répondu que c’est de la folie, que ça n’a aucun sens: ces journaux sont en vente partout. Celui qui veut avoir des articles, il les fax tout simplement en Europe ou il les fait passer par l’Ambassade etc. L’agent ne voulait rien savoir et il a fouillé dans les autres papiers. Il était très intéressé par une photo. Il a demandé: «C’est qui?» Je répond: «Che Guevara en compagnie de Kabila.» Ca lui semblait extrêmement suspect et il a amené le tout. Trois minutes plus tard, un responsable arrive avec tous les papiers et me dit “Voilà! Camarade!” Puis à l’agent: “ Mais, c’est un très bon ami du Congo, c’est lui qui a fait le livre sur Mulele”. L’autre dit “ah! Bon”. Et je suis parti. Mais alors qu’est ce que ça veut dire? C’est une mesure qui a peut-être été prise dans un esprit nationaliste, mais qui, dans la pratique est absurde. Est-ce une mesure qui permet de demander un peu d’argent à ceux qui partent? Est-ce que l’esprit et les pratiques mobutistes règnent toujours sous d’autres prétextes? La misère, la destruction du pays et la persistance des habitudes des mentalités, des pratiques mobutistes, ce sont deux problèmes énormes auxquels le gouvernement Kabila doit faire face. Alors on comprend mieux le sens de l’agitation qui se mène ici en Occident: que Kabila c’est un autre Mobutu. C’est une politique, une tactique, une thèse pour renverser le seul homme, le seul gouvernement qui peut sortir le Congo de la situation catastrophique dans laquelle il est plongé aujourd’hui.


TB:Comment est-ce que Kabila essaye de reconstruire le pays? Quels sont les résultats?
LM. Il faut dire que Kabila a eu beaucoup de talents à rétablir l’Etat congolais. Il a bien posé ses priorités et il a bien tenu à ses priorités. Il n’a pas permis qu’on le dévoie avec des jeux les élections ou la libéralisation des partis politiques alimentaires. Il a mis fin à l’agitation de tous ces partis qui se sont amusés pendant 7 ans à sauver Mobutu et à plonger le pays dans la ruine. Il a créé une situation où il pouvait se concentrer sur l’essentiel. L’essentiel de ce qu’il a fait se résume en 4 points: il a soudé son gouvernement autour d’un programme nationaliste; il réponds un par un aux menaces militaires; il a commencé a former une armée nationale et disciplinée et, enfin, il a élaboré un plan triennal pour la reconstruction du pays.


TB: Dans l’équipe gouvernementale de Kabila, il y a des gens qui viennent des quatre coins du monde. Il y en a qui ont un peu d’expérience politique, d’autres pas du tout. Les orientations idéologiques sont aussi très différentes, il y en a qui viennent de l’école libérale américaine, d’autres ont eu une formation marxiste. Comment peuvent-ils rester unis?
LM. C’est le mérite à Kabila d’avoir fait de cette assemblage assez disparate une équipe plus ou moins cohérent qui tient. Quand on parle avec les différents ministres, ceux qui sont marxistes et ceux qui sont libéraux, ils vous accordent tous que c’est vraiment Kabila qui est le moteur de l’équipe. Et que c’est lui qui, à travers les discussions hebdomadaires, a forgé une certaine vision commune qui est une vision nationaliste. Par exemple, j’ai ici un interview de Mawapanga qui est formé aux universités américaines dans l’idéologie ultra-libérale. Il dit en octobre 1977 dans «Le Messager d’Afrique».: «Il y a 3 pays en Afrique qui font peur à l’Occident: Le Nigeria, le Congo et. l’Afrique du Sud. Si ces 3 pays deviennent forts et indépendants, aucun pays d’Europe ne pourra plus jouer avec l’Afrique. Je peux vous dire qu’avec le Président Kabila nous y arriverons. Ils viendront ici ni aux termes de la Banque mondiale, du FMI, des Etats-Unis ou de la France, mais à nos propres termes.» Dans le même interview, il dit: «Combien de temps la Chine est-elle restée en dehors des Nations Unies. Ils ont tenu bon et continué à travailler pour leur développement. Maintenant la Chine devient de plus en plus une grande puissance économique. Et c’est là que j’effectuerai ma deuxième visite, en tant que ministre, après l’Afrique du Sud.» On constate qu’un homme qui a été formé dans le libéralisme orthodoxe est arrivé, à travers les discussions dans l’équipe gouvernementale, à prendre des positions, conséquents.


TB: Il semble qu’un changement majeur serait la sécurité augmenté. Qu’en as-tu remarqué?
LM. Il faut savoir qu’avant la libération de Kinshasa, les mobutistes ont ouvert toutes les portes des prisons. Il y avait plus de mille bandits, des gangsters coupables d’attaques à mains armés et de meurtres. Ils sont partis dans la nature et ont formé des bandes de criminels. En plus il y avait aussi pas mal de militaires de FAZ qui se sont reconvertis en bandits. La première fois que je suis allé à Kinshasa, c’était fin juin, début juillet 1997. A partir de 19 heures, il y avait très peu de gens dehors. Il y avait des nuits où à 1 heure, 2 heures on entendait des rafales pendant un quart d’heure, 20 minutes. A l’heure actuelle, il n’y a plus de comparaison par rapport à il y a 2 ou 3 mois. Il m’est arrivé de rentrer à la maison à 2 heures de la nuit sans être inquiété. La sécurité est, pour l’essentiel, rétablie.


TB: Les mobutistes investissent beaucoup d’argent dans des troupes de résistance armés. Le but en est de déstabiliser le nouveau régime. Comment réagit Kabila? LM. Le premier facteur de la menace militaire de la part des mobutistes, ce sont des anciens militaires des FAZ qui avaient jeté leur uniforme et qui se cachaient à Kinshasa. Ils pouvaient constituer un noyau d’une opposition armée au nouveau régime. Cette bombe, Kabila l’a désamorcée en reprenant une grande partie des anciens FAZ dans la nouvelle armée. Il a fait un appel à tous les militaires à venir s’inscrire et il les a envoyés en formation. Ils ont reçus un minimum d’éducation. Ils ont été repris dans la nouvelle armée. Deuxième aspect de la menace mobutiste: il y avait entre 2 à 3.000 mobutistes, généraux et soldats, surtout de la division présidentielle, à Brazzaville. Ils s’étaient liés aux deux partis qui s’y affrontaient par les armes: celui de Sassou Ngessou et celui de Lissouba. L’existence de cette force assez importante, combiné avec la présence des Français à Brazzaville constituait au mois d’août-septembre ‘97 la menace la plus directe pour le nouveau régime. J’ai été à Kinshasa quand il y a eu des bombardements sur Kinshasa à partir de Brazza. A la fin de la guerre à Brazza des services de renseignement angolais ont signalé qu’il y avait 6.000 militaires au Congo-Brazzaville, surtout des ex Faz et des ex Far, concentré au le nord à Oyo. En même temps, il y avait des concentrations de mobutistes et de troupes de l’Unita à Lunda norte, une région de l’Angola qui touche au Congo. Les mobutistes préparaient une attaque concertée sur Kinshasa à partir de Kahemba, près de l’Angola, et à partir du nord du Congo Brazzaville. Baramoto et Nzimbi coordonnaient les deux opérations. J’ai discuté avec un commandant de l’armée congolais qui avait envoyé une centaine de commandos en civile dans la région de Kahemba pour observer les manigances des mobutistes et de l’Unita. Deux semaines plus tard, il y a eu la nouvelle que les généraux Baramoto et Nzimbi ont été arrêtés en Afrique du sud venant de la zone de l’Unita en Angola. Probablement les services congolais et les services de l’Angola ont suivi les mobutistes dans le territoire de l’Unita et ils se sont concertés avec l’Afrique du sud pour mettre fin à cette menace. En décapitant l’armée contre-révolutionnaire, Kabila a fait un grand pas en avant dans le maintien de la paix. Bien sûr, cette menace, prend encore d’autres formes. On signale toujours que les criminels rwandais ont des rapports de coopération avec des milices locales qui s’appellent les Mai-Mai dans le Kivu. En décembre 97 ils ont même attaqué Bukavu. La recrudescence des attaques, des massacres, des meurtres au Rwanda même devient aussi inquiétante. Mais on peut dire que, pour l’essentiel, Kabila a réussi déjà depuis mai 97 à contrôler la situation.

TB: Selon la presse bourgeoise, l’armée de Kabila ne serait pas grand chose. Elle manquerait de discipline et ne serait qu’un amalgame de différents groupes.
LM. C’est vrai qu’à la fin de la guerre de libération, Kabila avait une armée qui n’était pas du tout homogène. Son armée était constituée de Congolais venus de l’Angola, de l’Ouganda, de Rwandais, de Banyamulenge, de recrues katangais, etc… La majorité était des jeunes, recrutés à l’intérieur du Congo, sans aucune expérience politique ou militaire. Cette armée a vécu des situations difficiles et affreuses. Durant les premiers mois après la libération, il y a eu pas mal d’abus de la part des militaires. Cela a fait l’objet de commentaires contre Kabila. Les mobutistes et tshisekedistes disait l’armée de Kabila était aussi une armée pour voler, pour piller juste comme celle de Mobutu. Ces attaques sont inqualifiables parce que les difficultés qu’affrontait Kabila pour souder une armée nationale étaient absolument inévitables. Vous avez là des jeunes paysans qui n’ont jamais vue une ville, qui sont passés par des luttes très dures. Après la victoire ils se trouvent pour la première fois dans la capitale. Les problèmes de discipline étaient inévitables. De l’autre côté, ces jeunes soldats qui avaient beaucoup souffert, vivaient dans une situation souvent très difficile. J’ai ici un article sur des soldats qui venaient de l’est et qui se trouvaient dans le camp Lufungula. L’eau y était de mauvaise qualité, les conditions de vie dans leurs baraques étaient abominables. Il y a eu 9 morts parmi ces jeunes soldats par la dysenterie. Quand des soldats vivent dans des conditions inhumaines, ils prennent leur fusil pour demander de l’argent, pour voler. Et alors, il y a un troisième facteur. C’est le racisme contre les Banyamulenge. C’est vraiment dégoûtant, fasciste. Je vous en donne un goût par deux phrases d’un journal de Kinshasa. C’est la presse libre, la presse démocratique, d’après ce qu’on dit en Occident. L’auteur parle de l’arrivée de Kabila à Kinshasa. Kabila était accompagné de Masasu, considéré à ce moment là, comme le chef de l’armée. Dans ce journal, je lis ceci: «Kabila sert la main à un jeune homme en uniforme à la morphologie Tutsi ”. Et trois pages plus loin: “Il y a des incidents entre de militaires Tutsi de l’AFDL et ceux à morphologie Bantu ”. C’est clair que dans tous les pays de l’ Afrique, on peut vous présenter des individus qui ont la «morphologie Tutsi» d’autre du même pays qui auront le «morphologie Bantu».Les jeunes soldats de l’armée de libération ont souffert, ils ont fait 2 500 km à pied, et ont été souvent agressés verbalement avec des termes racistes, Ca travaille les nerfs, ca peut aboutir à des fusillades. Comme celle qui s’est produit devant la maison de Sondji, le ministre de la santé. Le soldat qui était de garde devant sa maison a souvent été attaqué avec des insultes racistes par des élèves de l’école à côté. C’était un garçon impulsif, un jour, il a tué un élève. Ce soldat a été exécuté. Des problèmes de discipline, de vol etc. Suite à l’affaire de Masasu le gouvernement et le Conseil National de sécurité ont pris des mesures importantes. Désormais tous les militaires ainsi que leurs voitures doivent porter un numéro, pour qu’on puisse les identifier. Toutes les tirs anarchiques sont interdits. Souvent les soldats tiraient en l’air pour un rien. Aucune saisie de voiture, de maison ou d’autres biens personnels n’est autorisée. Des prisons privées qui existaient dans certaines unités militaires sont interdites. Deux jours plus tard, à la télévision, j’ai vu des militaires qui avaient tiré en l’air et qui étaient condamnés à deux ans de prison. Puis, des soldats ont été condamnés à mort par le tribunal militaire pour avoir tué des personnes. Même la presse anti-Kabiliste à Kinshasa disait que la population était soulagée après cette reprise en mains de l’armée. La dernière mesure qui a été annoncée après l’affaire Masasu est que désormais toutes les unités de l’armée doivent être mixtes et que les gens qui viennent de différentes régions du pays doivent se retrouver dans toutes les unités. On peut donc parler d’une prise en main de l’armée et le début de la formation d’une armée nationale et disciplinée.


TB: Qu’est-ce que Kabila a fait pour reconstruire ce pays complètement détruit et ruiné?
LM. D’abord Kabila a mis de l’ordre dans le gâchis qu’il a trouvé. Désormais il n’y a plus d’opération financière ni dans les entreprises, ni dans l’administration qui ne passe par les banques. Dans le passé toutes les magouilles étaient permises. L’argent partait dans un ministère et ceux qui étaient à la tête, en faisaient ce qu’ils voulaient. Quand tout passe par les banques, tout peut être contrôlé. Les revenus de l’état qui étaient devenus insignifiants du temps de Mobutu, ont augmenté d’une façon importante. Comme la production est toujours extrêmement bas, les revenus de l’état sont toujours faibles. On sait que la production du cuivre, au Congo, n’est même pas 10 % de ce qu’elle était dans les années 80. Les revenus de l’Etat sont faibles, mais c’est, avec ces revenus que Kabila a pu payer les salaires plus ou moins régulièrement. Kabila a dit à ce propos et, je pense que c’est tout à fait exact: “Tout ce que ce que nous sommes en train de payer vient de nous-mêmes, de ce pays, du travail du gouvernement. C’est la surprise pour tout le monde et surtout, pour ceux qui veulent s’immiscer de nos affaires.” Je pense que ça reflète bien la position de Kabila. Il est fière que le peu qu’on peut payer, ça vient des efforts du Congo et que ça renforce la position indépendante du pays. Ensuite, pendant plusieurs mois tous les ministères ont été mobilisé pour faire un inventaire. Le nouveau gouvernement a hérité des ministères où régnait l’anarchie totale. Il n’y avait pas d’inventaire. Ils ont dû concentrer souvent deux à trois mois pour découvrir ce qu’ils possédaient dans leurs ministères. Sur cette base, ils ont dû faire un plan de développement réaliste pour les trois années à venir. Ce plan a été discuté dans les ministères, au conseil de ministre, et a été retravaillé. Et, finalement, on a produits un plan triennal réaliste et qui part essentiellement des intérêts des masses les plus pauvres du pays. C’est un plan qui est à l’opposé de la politique de Mobutu des années 60 et 70. Alors le Congo a connu le soit disant «développement par de grands travaux infrastructures», travaux qui servaient surtout à enrichir les entrepreneurs et les capitalistes étrangers et à enrichir Mobutu et les siens. Maintenant le plan est axé sur le rétablissement des routes et du transport qui est vital pour la survie de la population; sur l’agriculture, sur la santé et l’éducation et sur l’énergie.

TB: Nous avons eu ici à Bruxelles, la Conférence des Amis du Congo qui était supposée donner de l’argent pour la reconstruction du pays. Mais il semble que très peu sera fait.
LM. Quand le ministres sont revenus à Kinshasa, Kabila a dit à la radio: “Les délégués du Congo ont défendu avec dignité et talent la R.D.C. Ils ont obtenu des succès réels et des promesses solides de presque tous les partenaires occidentaux sont jusqu’à présent que des promesse et rien n’est sûr. Nous n’accepterons que de l’aide qui est sans condition. C’est-à-dire nous avons nos priorités et l’aide qu’on veut bien nous donner, doit servir à réaliser les priorités définies par le gouvernement populaire.” Je pense que c’est une position qui exprime bien l’attitude nationaliste de Kabila. Quelques semaines à peine après la Conférence des Amis du Congo, madame Albright, la secrétaire d’Etat américaine, responsable des affaires étrangères, est arrivée à Kinshasa. Elle a déclaré qu’elle fera de son mieux pour que le Congrès américain donne son accord pour une aide de (10 millions de dollars. J’étais à Kinshasa en ce moment là. J’ai constaté que beaucoup de congolais, même ceux qui ne sont pas progressistes, ont pris ces 10 millions comme une insulte. La première question que madame Albrigth a reçue d’un journaliste d’un journal de droite, c’était: “ Madame, ces 10 millions, c’est insignifiant. Ce dont le Congo a besoin, ce sont des milliards. ” C’est là opinion générale. Alors dans sa réponse, Albright a dit que: Non, 10 millions, ce n’est pas rien, et puis, peut être, il y aura plus. “Les volontaires des Corps de la Paix reviendront au Congo. Des centres d’éducation civique seront financés et nous allons soutenir des projets congolais pour protéger la forêt tropicale.” Dans son intervention, Albright a dit que les EU acceptent une partie de la responsabilité de la période de Mobutu. D’abord, ils n’ont pas à accepter une partie, ils doivent accepter le tout. C’est eux qui ont mis Mobutu en place, c’est eux qui ont dirigé les opérations militaires en ‘65 et ce sont eux qui ont tué les nationalistes en 64, eux qui l’ont maintenu Mobutu pendant plus que 30 ans. Les congolais qui ont entendu cela ont dit: “Mais, si vous acceptez une partie de responsabilité, alors il faut faire un croix sur les dettes, parce que vous étiez très bien au courant que Mobutu ne faisait que voler et brader.” “Combien de ponts, combien d’hôpitaux il a construit avec cet argent”, a demandé Kabila. Aucun! Et maintenant, les Américains veulent obliger ce peuple, mis à genoux, ces gens misérables et affamés, à repayer 15 milliards de dollars! Cela veut dire que par an, ils devront rembourser environ 1 milliard de dollars. C’est une politique criminelle, meurtrière que poursuivent les Américaines. En même temps Albright promet que les Etats-Unis vont aider le Congo de 10 millions.


TB: Quels sont les grands dangers qui pourraient compromettre la nouvelle politique au Congo?
LM. Le premier danger, c’est le front militaire de l’impérialisme et de la grande bourgeoisie congolaise. L’armée des mobutistes, l’armée de l’Unita, l’armée de l’ancien régime Rwandais et les extrémistes burundais sont toujours là. Il y a une coordination entre les Interahamwe, l’ancienne armée rwandaise, les extrémistes Hutu du Burundi, les hommes de l’armée mobutiste et des Mai-Mai qui opèrent au Kivu. C’est à partir de ce danger réel, qu’on peut comprendre la tactique que Kabila utilise vis-à-vis de mobutistes. Il parle d’une» révolution de pardon.» Si les mobutistes veulent confesser leurs tords et remettre l’argent qu’ils ont volé, il seront pardonnés et ils seront les bienvenus au Congo. A première vue, ça semble très bizarre. Mais dans le contexte où la menace militaire est toujours là, ça peut être une sage tactique pour réduire la base de l’opposition armée. Cela aussi peut expliquer que Kabila a repris un vieux loup comme Sakombi comme conseiller de la communication à la présidence. C’est un appel aux mobutistes qui veulent désarmer à rentrer. Bien sûr, cette tactique n’est pas sans dangers. Le deuxième danger, le deuxième front contre Kabila, c’est l’alliance entre Tshisekedi, les Eglises, certaines ONG et les mobutistes. Toutes les forces travaillent pour l’Occident. Toutes ces cliques bourgeoises pro-impérialistes se coalisent. L’homme qui cristallise ce regroupement, est Tshisekedi. Il est nécessaire de rappeler qui est Tshisekedi, un homme ambitieux et assoiffé du pouvoir. Il a été un des hommes clef du mobutisme dans sa période de gloire. D’abord, en 1960-61, Tshisekedi est un des responsables de l’arrestation et de la mise à mort de Lumumba. Il était à ce moment vice-ministre de la Justice. Il est aussi coresponsable de l’assassinat de Mulele. Il était à ce moment, ministre de la justice!. Il était ministre d’Etat, ministre du Plan et de la Recherche scientifique, au moment où on a assassiné 100 étudiants à Lovanium, le 4 juin 69. Il est un des fondateurs du parti de Mobutu. Bref, Tshisekedi a servi Mobutu aussi longtemps que Mobutu était puissant, jusque 80. Il a commencé l’opposition quand les Américains ont dit qu’il était temps de chercher un remplacent pour Mobutu.. Pendant les 7 ans de la soi-disant Conférence Nationale Souveraine, Tshisekedi, a laissé détruire le pays et mourir la population par centaines de milliers, pendant qu’il faisait des combines avec Mobutu. Au début de la lutte, Kabila a appelé l’UDPS de se joindre au maquis de l’Est. Mbwankiem, un des chefs de l’UDPS, dit que c’est Tshisekedi tout seul, qui a pris la décision de rejeter cet appel et d’aller en France voir Mobutu. Ni Mbwankiem, ni les autres dirigeants de l’UDPS n’avaient été consulté. Il faut se rappeler que jusqu’à la fin Tshisekedi avait son schéma: Mobutu, président, sans pouvoir réel: lui, le premier ministre de Mobutu avec le pouvoir réel. Il a proposé un gouvernement où il serait premier ministre, entouré de membres de l’UDPS et des mobutistes comme ministres; et il y aurait aussi 6 ministères à l’AFDL, dans des postes secondaires. Ainsi Tshisekedi voulait neutraliser et briser la force révolutionnaire du mouvement populaire qu’avait déclenché Kabila.



TB: Est-ce qu’il y a des dangers qui menacent de l’intérieur du régime de Kabila?
LM. Quelle va être l’évolution de gens que Kabila doit maintenant prendre dans son gouvernement, mais qui viennent, d’une idéologie et d’une orientation politique qui n’est pas du tout nationaliste? Est-ce que ces gens vont se convertir en nationalistes ou est-ce que leurs anciennes théories libérales et pro-impérialistes vont reprendre le dessus? Deux: il y a aussi le danger de l’embourgeoisement de certains nationalistes qui sont retournés de l’étranger. A l’étranger, même si on a une vie difficile, on est dans des conditions qu’on ne peut pas comparez à la misère extrême de la masse congolaise. Parmi les nationalistes, il peut y avoir des gens qui veulent s’installer, souffler, profiter à leur tour. Trois: il y a l’infiltration des mobutistes dans l’AFDL. J’ai rencontré des gens qui, il y a une année et demi à la radio, ont appelé leurs élèves à prendre les armes pour aller combattre» l’invasion des Rwandais».Maintenant ils se présentent comme des fanatiques de Kabila. Le mobutisme a produit beaucoup d’excellents démagogues, qui peuvent te faire n’importe quel discours. Quatrièmement: dans toutes les institutions de l’état, il y a toujours beaucoup de mobutistes. Ils se calment un peu maintenant, mais la mentalité est toujours là. Quand ces 4 forces peuvent se coaliser, on aura une situation où la révolution peut être «bouffé» par l’ancienne bourgeoisie. C’est aussi un danger, et c’est la troisième ligne de l’attaque de l’impérialisme possible au Congo. Qui, il y a une autre ligne d’attaque que peut suivre l’impérialisme: recruter des agents au sein même des forces qui entourent Kabila. Cette démarche avait déjà été suivie en juillet 1960, contre gouvernement Lumumba.


TB:Comment juges le globalement la politique de Kabila?
LM. Pour l’essentiel, l’orientation politique et économique qu’il a donné est correcte. Il a déjà fait des miracles. C est déjà incroyable que ce pays a trouvé un homme et des forces et un homme pour faire table rase du mobutisme. Seulement, il ne suffit pas d’élaborer une ligne politique et une ligne économique; il faut encore avoir la force matérielle, c’est-à-dire l’organisation, pour la réaliser. Pour cela il faut un parti d’avant-garde qui réunit les militants à l’esprit révolutionnaire, prêts aux sacrifices, prêts à vivre modestement, à se lier aux masses les plus opprimées, à accepter une discipline de fer et à incarner une ligne idéologique et politique radicale contre l’impérialisme et au service de la masse populaire. Sans un tel parti, ce sera extrêmement difficile de maintenir un pays aussi grand et aussi compliqué sur une ligne politique nationaliste. A part un parti d’avant-garde, il faut aussi des organisations des masses populaires. Elles n’existent pas à l’heure actuelle. La masse la plus opprimée est toujours en dehors du processus. Les gens doivent survivre. Manger, c’est chaque jour un problème pour les masses populaires. Se déplacer, c’est impossible. Un aller-retour au travail, ça coûte un dollar, c’est le salaire d’une journée. Pour la masse, il extrêmement difficile de s’organiser. Si le gouvernement veut persévérer dans la voie qu’il a choisie, il devra organiser la masse la plus opprimée: les ouvriers, les paysans, les travailleurs et la jeunesse, l’avenir du pays. Alors il trouvera la force pour réaliser la ligne économique et politique que Kabila défini.