TRANSITION POLITIQUE PACIFIQUE ET LUTTE CONTRE L'IMPUNITE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO :

CONDITIONS ESSENTIELLES POUR LE DEVELOPPEMENT

INTERVENTION AU COLLOQUE DU 04 MARS 04 AU PARLEMENT EUROPPEEN de M. LWABANDJI LWASI NGABO, Président SIMA-KIVU et DELEGUE de la PLATE-FORME des ONG CONGOLAISES en EUROPE

(Recommandations)

1. Un retour vers la paix exige aussi un retour vers un État de droit exerçant et appliquant une justice réelle et équitable, ce qui implique de tout mettre en œuvre afin que les responsables des crimes perpétrés soient traduits sans délai devant la justice pénale internationale et que les victimes puissent recevoir une juste réparation. Parce qu'il ne peut y avoir de paix sans la justice et que la réconciliation nationale passe obligatoirement par la justice, l'UE devrait encourager la création d'un Tribunal pénal pour les crimes commis en RDCongo avant 2002 et encourager les animateurs de la CPI à accélérer le traitement des crimes couverts par ses textes fondateurs, même en commençant par les graves actes de cannibalisme survenus en Ituri. Elle devrait en outre refuser l'accès au territoire de l'Union aux personnes responsables des crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis en RDC.

2. L'UE devrait en outre user de son influence au sein du Conseil de sécurité pour qu'enfin des troupes internationales neutres issues des pays occidentaux aillent renforcer la MONUC, totalement discréditée suite à sa passivité, son inefficacité et que ces forces soient plutôt déployées aux frontières. Certains rôles joués par la MONUC -comme dans l'affaire Major Kasongo- deviennent tout simplement ridicule tellement ça frise la complaisance, la complicité. Notre constat est que l'efficacité de toutes ces forces issues des pays sous-développés demeure très limitée, malgré le passage du mandat au chapitre 7. Nous référant à l'opération ARTEMIS, nous estimons que les pays occidentaux devraient relever la tête et cesser donner l'impression de laisser pourrir la situation pour venir jouer aux sapeurs pompiers demain.

3. L'aide au développement accordée par l'Union Européenne ainsi que ses Etats membres au Rwanda et à l'Ouganda, pays qui contrôlent militairement plusieurs groupuscules armés opérant à l'Est du Congo et continuent à violer les frontières d'un Etat voisin au mépris du droit international, devrait être conditionnée par le respect de l'intégrité territoriale des Etats voisins. Ceci implique que ces pays doivent non seulement effectuer un retrait immédiat, réel et vérifiable de leurs troupes du Congo, mais aussi cesser définitivement d'approvisionner, de mettre en place et/ou d'encourager de nouvelles rebellions en vue de déstabiliser leur voisin pour mieux piller ses ressources naturelles. L'Union Européenne devrait conditionner l'aide qu'elle accorde à tous les pays impliqués dans la guerre et les pillages en RDCongo par l'application de la bonne gouvernance, le respect des Droits de l'homme et la démocratisation réelle de leurs institutions politiques.

4. Afin de s'assurer que les aides octroyées aux pays impliqués dans la guerre en RDC n'ont pas été détournées pour des fins militaires, l'Union Européenne devrait mettre en place une équipe d'experts indépendants qui devraient examiner les effets réels de cette aide sur les populations destinataires.

5. Etant donné que l'Ouganda et le Rwanda n'ont cessé de justifier leur présence en RDC par une série d'arguments discutables comme l'insécurité et la présence des "interahamwe" et de nombreuses milices à leurs frontières avec la RDC, l'Union Européenne devrait s'assurer de l'applicabilité et de l'efficacité des résolutions qui découleront de la conférence régionale sur la paix dont la tenue est annoncée pour les mois à venir, malgré toutes les difficultés et toutes les tentatives de récupération.

6. Afin de décourager de nouvelles aventures militaires, aux conséquences humanitaires irréparables et pour pouvoir assurer la sécurité de ses citoyens et de ses frontières, la R.D.Congo doit être effectivement aidée à se doter d'une véritable armée patriote, disciplinée, bien entraînée et républicaine. L'UE devrait jouer un rôle important dans la restructuration de cette nouvelle armée, sa formation et son équipement. Ceci passe impérativement par la levée de l'embargo sur les équipements militaires que subit la R.D.Congo depuis 1990. Il est un fait que la levée en question ne devrait intervenir que dès que l'armée est bien réunifiée. Il est en outre impensable que les éléments actuellement en formation à Kisangani aient été désignés par les belligérants - RCD et MLC notamment, rébellions comme tout le monde les appelle. Nous pensons que le recrutement étant fait sur base de clientélisme, les conditions sont loin d'être réunies pour aboutir à une véritable armée républicaine, comme la population congolaise le souhaite de tous ses vœux. A notre avis, ce genre de sélection devrait s'opérer au niveau de l'Etat Major réunifié sur base des critères de compétence.

7. Que l'UE fasse pression sur les acteurs politiques sensés animer la transition au Congo afin que soit poursuivie et rapidement achevée la mise en place des institutions de la transition, notamment par la nomination de nouvelles autorités territoriales compétentes et dans lesquelles les populations vont effectivement se reconnaître, la désignation des belligérants ayant montré toutes ses limites à cause de la méfiance des uns et des autres. En effet, la population est demandeuse d'une transition effective et participative, préfigurant la troisième République, voulue démocratique. Elle veut une transition qui se termine dans les délais et donc qui ne s'éternise pas comme on peut le craindre actuellement, les signes annonçant la préparation des élections libres, démocratiques et transparentes tardant à venir.

8. Un soutien psychologique aux populations victimes des violences de tous ordres et particulièrement les violences faites aux femmes. Un accompagnement social est ici indispensable pour la recomposition d'une société civile. L'UE devrait contribuer à prendre en charge de la formation des personnes chargées d'aider les victimes de viols notamment à évacuer le traumatisme dont elles ont été l'objet. Et nous pensons que ces personnes pourraient être sélectionnées dans les milieux des églises pour dénicher des hommes et des femmes capables d'accompagner les victimes en toute dignité.

9. Que le nécessaire soit fait pour que les chefs coutumiers qui ont été limogés et remplacés au mépris de la coutume, notamment au Nord-Kivu dans le Masisi et Rutshuru, soient réhabilités dans leurs fonctions. La désignation d'un chef coutumier obéit à des règles précises tout comme la succession. Il est inacceptable que ces décisions n'aient été dictées que par les sentiments, les chefs coutumiers n'ayant pas accepté d'être de même obédience que les décideurs de fait.

10. Compte tenu de l'importance de la justice dans un pays, souhaiter voir l'UE peser de tout son poids pour éviter l'installation au Congo d'une justice à double vitesse, notamment en instaurant en Ituri (à Bunia) une justice qui aura tous les moyens alors que le reste du pays en sera dépourvu.

11. Que l'UE mette tout en œuvre pour obtenir que toutes les entités qui ont été mises en place durant le conflit (1996 à 2003) perdent ce statut et qu'on revienne à la situation d'avant la guerre ! Il en est ainsi de ce que certains appellent province de l'Ituri qui n'est qu'une sous-région de la province Orientale ou encore de Kalemie qui fait partie de la Province du Katanga, mais aussi des territoires de Bunyakiri et de Minembwe, de la commune de Kasha ainsi que toutes les collectivités et tous les groupements créés au mépris de la loi au Sud Kivu. Il s'agit également des villes de Tshikapa, de Beni et de Butembo qui ont vu le jour un peu comme par défi, les dirigeants de fait voulant entre autre montrer qu'ils exerçaient (encore) le pouvoir de l'Etat dans la partie sous leur «contrôle» Puisse des dossiers en bonne et due forme être introduits auprès de l'instance compétente pour éviter de nouvelles tensions inutiles.

12. Le pillage des richesses du Congo constituant la principale source de financement des groupes qui tentent de perpétuer la guerre, la communauté internationale devrait faire preuve de fermeté pour en sanctionner les auteurs. En effet, le rapport conclusif sur le pillage des ressources naturelles de la République démocratique du Congo, remis le 15 octobre au Conseil de sécurité des Nations unies par le président du groupe d'experts chargés de l'enquête, a été nuancé et largement expurgé pour ne pas, avons nous appris, troubler les acteurs de la transition et leurs parrains extérieurs mis en cause dans la section confidentielle de 12 pages qui ont été retirées du texte final..

13. Faire qu'enfin la vraie paix survienne afin que les personnes déplacées du fait de la guerre et des actes la caractérisant soient réinstallées dans les milieux où elles avaient toujours séjourné.

14. Des sanctions exemplaires devraient frapper ceux qui procèdent au recrutement et à l'utilisation des enfants soldats. Nous pensons que seule la sanction de l'un ou l'autre pris en flagrant délit, peut dissuader les autres. Le retour à la paix implique des mesures radicales visant les causes.

15. Encourager le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en RDC en veillant pour que leurs recommandations soient effectivement suivies d'effet. Les politiques nous semblent actuellement privilégier le retour à la paix dans une sorte d'impunité quand eux insistent sur la nécessité de punir les différents crimes commis au Congo. Or, il n'y a pas de pas sans justice et sans réparation des dégâts …

16. - demander l'envoi sur le territoire de RDC d'une commission internationale d'enquête indépendante chargée d'évaluer la situation, de déterminer les violations du droit international humanitaire et des normes internationales relatives aux droits de l'homme et d'en identifier les auteurs.

En guise de conclusion, nous considérons qu'il n'y a pas de développement sans paix, que la paix ne peut s'imaginer sans justice et que s'il est vrai que le pardon des crimes peut s'envisager, certaines conditions devraient d'abord être réunies et dans tous les cas, ne fut-ce que les principaux responsables se voir sanctionnés de façon exemplaire.

Toute attitude contraire est actuellement sévèrement jugée par la majorité des congolais et hommes épris de paix qui vont jusqu'à accuser les Nations unies de légaliser l'impunité et d'hypothéquer l'avènement d'un Etat de droit en RDC. Puissent la complaisance et même la complicité qui caractérisent la communauté internationale dans ce conflit qui a déjà coûté à notre cher pays près de quatre millions de morts cesser.

Nous vous remercions.

LWABANDJI LWASI NGABO
Président SIMA-KIVU asbl