COMPTE-RENDU DE LA TABLE RONDE AFRIQUE CENTRALE : «LA SOCIETE CIVILE FACE AUX CONFLITS EN AFRIQUE CENTRALE -LA PAROLE AU TERRAIN»

organisé parle Réseau Européen Congo (REC)et la Concertation Chrétienne pour l'Afrique Centrale (CCAC)/Great Lakes Advocacy Network (GLAN)

17 Octobre 2001

Le 17 octobre 2001, a eu lieu à Bruxelles, à la Représentation en Belgique de la Commission européenne, une Table Ronde Afrique centrale sur le thème «La société civile face aux conflits en Afrique centrale - la parole au terrain». Elle était organisée par la Coalition Nord-Sud pour la Présidence belge du Conseil de l'Union européenne en collaboration avec la Concertation Chrétienne pour l'Afrique Centrale/Great Lakes Advocacy Network CCAC/GLAN et le Réseau Européen Congo (REC). La Table ronde était articulée en deux volets : d'une part, des témoignages et analyses de la situation qui prévaut dans la région des Grands Lacs par des représentants de la société civile de la République Démocratique du Congo, du Burundi et du Rwanda suivis d'un débat; d'autre part, les démarches de la Commission européenne, de la Présidence belge de l'UE , des groupes de parlementaires européens et des ONG du Nord pour contribuer à une paix durable, suivies également d'un débat avec les participants. Une centaine de personnes y ont participé.

L'introduction et la modération ont été assurées respectivement par Jozef De Witte, Secrétaire général de 11.11.11 / Coalition du Mouvement Nord-Sud en Flandre, et François Janne d'Othée, Chargé du programme de la CCAC/GLAN. Nous livrons brièvement l'essentiel des diverses interventions.

Thème 1 :
« Comment faire avancer la paix ? » Réponses du terrain
Modérateur : François Janne d'Othée

- Me Firmin Yangambi, membre du Comité pour la paix de Kisangani, avocat, délégué de la société civile de la Province orientale au Dialogue intercongolais/RDC

Après avoir demandé une minute de silence pour toutes les victimes congolaises de la guerre qui déchire son pays, il centre son intervention sur trois points :
- ce que pense la population de la crise actuelle,
- ce que la population attend du dialogue intercongolais,
- des pistes de solutions.

La guerre actuelle en RDC est une guerre où trois armées étrangères (rwandaise, ougandaise et burundaise) occupent impunément plus de la moitié du territoire se livrant à des massacres qui ont déjà fait quelque 2,5 millions de victimes. A elle seule, la ville de Kisangani, devenue ville fantôme, compte plus de 3.000 morts suite à des combats entre les armées rwandaise et ougandaise. Les rébellions congolaises ont été fabriquées de toutes pièces par ces deux armées dont elles ne sont que des marionnettes et des otages. Elles proclament qu'elles veulent libérer la population des violences passées, mais utilisent ces mêmes violences à l'encontre de la population.

La population congolaise attend du Dialogue intercongolais qu'elle mette fin à la guerre mais cela semble très difficile puisque les vrais belligérants (les gouvernements rwandais et ougandais) n'y participent pas. Trois des composantes participantes (les ailes politico-militaires) semblent intéressées seulement par la prise ou la conservation du pouvoir. Or, le pouvoir ne résout pas les problèmes : la nationalité ne s'acquiert pas par les menaces. Seule la société civile souhaite réellement la fin de la guerre et le lancement d'un nouveau projet de société.

Des pistes de solutions. La guerre en RDC a deux dimensions : une dimension internationale et une dimension interne. Pour des raisons incompréhensibles, la communauté internationale laisse bafouer impunément les principes du droit international relatifs notamment aux violations de l'intégrité territoriale et de l'indépendance d'un pays tiers. Au niveau national, le peuple congolais est plongé dans une crise humaine et morale sans précédent et vit la pire misère qu'il ait jamais connue à ce jour.

Conclusion : Les remèdes au conflit en RDC ne devraient pas d'abord consister dans le partage du pouvoir, la résolution du problème des nationalités et la sécurité du Rwanda. Il s'agit de restaurer un Etat : la RDC. Le génocide au Rwanda de 1994 ne peut pas justifier l'injustifiable.

- Mme Mathilde Muhindo, directrice du Centre des Femmes Olame/Bukavu/RDC

Mme Muhindo confirme les propos de Me Yangambi. Elle déclare que son intervention est une occasion pour les femmes du Kivu de pouvoir enfin s'exprimer puisque les rebelles du RDC-Goma les en ont empêchées le 8 mars 2001, journée mondiale de la femme. A partir de l'attitude de la communauté internationale qui observe un mutisme total vis-à-vis du drame congolais à l'opposé de la réaction consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 aux USA, elle se demande s'il y a des peuples et des hommes dont la vie a plus de valeur que celle des autres. Elle décrit le calvaire physique et moral des populations congolaises en territoire occupé par le Rwanda, les taxes qu'elles doivent payer comme «effort de guerre», cette guerre qui les décime. A cause de l'insécurité, la population rurale ne peut plus travailler les champs, la population urbaine ne peut pas gagner sa vie, puisque les fonctionnaires ne sont pas payés depuis août 1998, mais la même population doit s'occuper de toutes les populations des campagnes qui viennent grossir les villes.

Elle dénonce particulièrement six conséquences néfastes de cette guerre :
- la faim employée par les armées rwandaise et ougandaise comme arme de guerre,
- le viol, par les Interahamwe et les différentes armées, des jeunes filles et des femmes devant les membres de leurs familles (parents, frères et sœurs, maris), ce qui provoque des traumatismes sans nom,
- les maladies vénériennes et le SIDA qui font des ravages suite à ces viols,
- la perdition des jeunes qui n'ont plus de travail et ont abandonné l'école depuis au moins cinq ans,
- la situation des enfants-soldats enrôlés de force et amenés en Ouganda où leur est inoculée la culture de la mort,
- l'impossibilité de communiquer entre l'Est de la RDC et le reste du pays car il faut traverser trois pays pour se rendre du Kivu à Kinshasa. On a érigé un nouveau mur de Berlin en RDC pendant que les avions qui pillent les matières premières de la RDC ne connaissent pas de frontières.

Conclusion. La vie ne sera viable en RDC que le jour où ce pays sera libéré de toutes les armées étrangères et où les Congolais pourront décider de leur avenir.

- Noël Twagiramungu, secrétaire exécutif de La Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL)/Rwanda

L'orateur centre son intervention sur deux points :
- le rôle de la société civile dans la région des Grands Lacs
- la question du dialogue inter-rwandais.

Des cliques au pouvoir. Toute la région des Grands Lacs est confrontée à des conflits qui ont éclaté en 1990, pays par pays, dans un processus de cycles vicieux mettant aux prises des cliques de gens qui luttent pour se maintenir au pouvoir ou pour y accéder, par la force. Une fois arrivées au pouvoir, les nouvelles cliques s'y maintiennent par un jeu de terreur, de népotisme, de clientélisme et d'exclusion systématique basée souvent sur des affinités d'appartenance ethnico-régionale. Face à cette violence, la société civile essaie de se faire la voix des sans voix, le porte-parole des aspirations du peuple et le porte-flambeau des idéaux démocratiques. Elle devient alors la cible privilégiée de toutes ces cliques dont elle subit toutes sortes de dangers : récupération, élimination physique, diabolisation, intimidations, arrestations arbitraires, emprisonnement, exil et toute forme d'atteinte à l'intégrité physique et/ou morale.

Pour un dialogue inter-rwandais. Comme les autres pays de la sous-région, le Rwanda a connu la violence qui l'a plongé dans l'horreur du génocide. Sept ans après, le pays est à la croisée des chemins, entre l'espoir et le désespoir, l'instinct collectif de conservation et les menaces réelles ou supposées d'anéantissement, la nécessité d'éradiquer l'impunité et l'enjeu de la reconstruction du tissus social, la nécessité de panser les plaies et de rendre une vraie justice. Malheureusement, la politique de l'unité et de la réconciliation nationales se trouve de plus en plus compromise par un pouvoir qui s'était pourtant engagé à éradiquer la terreur du fusil, le pouvoir individualisé, le népotisme, le rétrécissement des espaces démocratiques, la corruption, l'exclusion. Il est difficile, sinon impossible ici de déterminer qui a raison ou tort. Il existe une seule voie pour sortir de ce cercle vicieux : engager un dialogue franc, ouvert et contradictoire par toutes les forces vives du Rwanda sur les problèmes clefs de l'heure que sont :
- le contentieux du génocide
- le danger des éléments armés,
- le problème de la démocratisation,
- la problématique de la sécurité régionale.

- Louis-Marie Nindorera, secrétaire exécutif de la Ligue burundaise des droits de l'homme «ITEKA»/Burundi

L'orateur aborde deux points :
- la sécurité au Burundi,
- le conflit en RDC.

La sécurité au Burundi. Le Burundi est en guerre depuis plus de huit ans, ce qui entraîne beaucoup de morts dans le pays. Il y a trois forces principales en présence : l'armée gouvernementale, le Front National de Libération (FNL) et les Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD). Si l'annonce de l'éviction de l'actuel commandant des FDD est confirmée, cela pourrait signifier une nouvelle donne car le nouveau chef de ce mouvement entretenait de bonnes relations avec le FNL et les deux mouvements travailleraient plus étroitement dans leur lutte contre le gouvernement. Généralement, les forces rebelles attaquent l'armée en tendant des embuscades, ce qui provoque généralement beaucoup de dégâts. La rébellion s'en prend aussi à certaines populations civiles qu'elle accuse de trop pactiser avec le pouvoir. L'armée réagit généralement par des représailles qui entraînent des massacres de la population civile prise ainsi en otage entre l'armée et la rébellion.

Le conflit en RDC. Il n'est un secret pour personne que l'armée burundaise se trouve en RDC, officiellement pour protéger sa frontière contre les incursions des rebelles burundais en provenance de ce pays. Mais l'armée burundaise n'a pas pénétré profondément dans le territoire congolais comme les armées rwandaise et ougandaise. Les populations proches de la frontière se sont toujours défiées des pouvoirs forts des gouvernements centristes de leurs pays. Du temps du Maréchal Mobutu, il y a eu collaboration militaire entre les armées congolaise et burundaise. Chaque armée a fait appel à l'autre pour combattre sa rébellion (n.d.l.r. : rébellion muléliste au Congo en 1964, rébellion hutu au Burundi en 1972).

Retrait des forces étrangères et intégration régionale. Tout est fonction du nombre des forces rebelles. Un retrait immédiat des forces armées du Rwanda et du Burundi menacerait ces pays. D'autre part, un retrait du Zimbabwe rendrait possible le contrôle total de la région frontalière par les forces rebelles et les armées rwandaise et ougandaise. Les efforts d'intégration régionale des pays de la région des pays des Grands Lacs n'ont pas porté leurs fruits car il n'y avait pas le minimum requis de gouvernance commune. Au Rwanda et Ouganda, le système de gouvernance est basé sur des assemblées locales avec forte dominance des autorités centrales, tandis qu'en RDC, on veille particulièrement à la notion de représentativité du pouvoir central, mais sans discussion à la base sur les acquis et devoirs sociaux.

Conclusion. Le système de gouvernement au Burundi semble être une synthèse des systèmes de gouvernement au Rwanda et en Ouganda. La population est rarement invitée à se prononcer sur le projet de société que les dirigeants lui imposent. Pour sortir des différents conflits, il faudra s'attaquer aux problèmes de la sécurité, de la bonne gouvernance interne, de la justice. La communauté internationale pourrait jouer un grand rôle dans la résolution des conflits qui déchirent la région, mais devrait mettre en oeuvre d'autres moyens d'action que de décider à la place des populations. Malheureusement pour le moment, on assiste à une cacophonie au sein de l'UE et même au Conseil de Sécurité où se manifestent des intérêts divergents.

- Père Rigobert Minani, Groupe Jérémie, Coordinateur du Réseau des ONG des Droits de l'Homme et Education civique d'inspiration chrétienne du Congo (RODHECIC) /RDC

Le problème de la démobilisation. Une foule d'envoyés spéciaux et de ministres de l'UE se sont succédés à Kinshasa l'enjoignant de désarmer les différentes milices et assurant que cette étape conduira sûrement à la fin du conflit en RDC. Le Président Kabila a désarmé 3000 Hutu rwandais mais le Président Kagame a déclaré qu'il restait 37.000 autres à désarmer. Leur dernière rencontre a été un échec et une humiliation pour M. Kabila car M. Kagame lui a dicté sa volonté. On se rend compte par ailleurs que le retrait rwandais d'un front a été suivi d'un renforcement de ses troupes sur un autre front, ce qui a provoqué une nouvelle errance pour la population de cette zone. Au regard de la situation actuelle et en relation avec ce problème de la démobilisation, les Congolais se demandent si la proposition faite comme solution miracle était la meilleure ou si on ne s'est pas trompé de cheval de bataille. En effet, les Accords de Lusaka censés ramener la paix en RDC stipulent notamment les actions suivantes:
- un cessez-le feu,
- le dialogue intercongolais,
- le retrait des troupes étrangères
- le désarmement des milices pour assurer la sécurité
- la démobilisation.

Curieusement, le cessez-le feu semble un simple déplacement du front, le dialogue intercongolais bute sur de nombreux problèmes et n'engage pas les principaux acteurs du conflit, le retrait des troupes étrangères est resté lettre morte malgré des résolutions du Conseil de Sécurité qui paraît n'avoir aucune volonté manifeste de les faire respecter, le fameux DDRR (Désarmement, Démobilisation, Réinstallation, Réinsertion) censé être opéré par la MONUC tarde à venir, il n'y a pas d'accord sur le nombre de miliciens opérant en RDC, Kinshasa avançant le chiffre de 3.000 à 5.000 et le Rwanda de 15.000 à 40.000.

Face à cet imbroglio, la société civile réclame et exige l'application pure et simple des Accords de Lusaka, notamment des résolutions du Conseil de Sécurité relatives à la démilitarisation de Kisangani et de Pweto et le retrait de toutes les troupes étrangères, qui est le premier point du pacte républicain signé par toutes les parties au pré-dialogue de Gaborone. Les Congolais se sentent humiliés par les troupes rwandaise et ougandaise dont les rebelles congolais sont des otages et refusent que la tenue effective du dialogue intercongolais soit une condition prélable à l'octroi du programme d'aide promis par l'UE. Il n'y aura jamais de paix en RDC tant que les Congolais ne seront pas libres de décider de leur avenir.

- Aloys Tegera, directeur du Pole Institute/Goma/RDC

Les questions de fonds non résolues. Goma est une région à cheval entre le Rwanda et l'Est de la RDC. Le peuple congolais braque les yeux sur le dialogue et reste sceptique car les questions de fond ne sont pas résolues :
- les bandes armées sont une réalité et doivent être désarmées. Si elles ne le sont pas, le retrait des troupes rwandaises de la RDC pourrait aggraver la situation,
- la question de la nationalité des Banyarwanda de la RDC concerne d'abord les Kivutiens. C'est à eux de la régler pacifiquement, sinon le Kivu restera une poudrière,
- l'impunité des seigneurs de guerre doit être résolue par la justice, car la population ne pourrait faire confiance à des dirigeants qui ont trempé dans des massacres,
- la population souffre de la pauvreté et de la misère et est dans un état lamentable. Les ressources sont dilapidées par les autorités du RCD et cette guerre devient une guerre contre le peuple congolais,
- la population souffre de la pauvreté et de la misère et est dans un état lamentable. Les ressources sont dilapidées par les autorités du RCD-Goma et cette guerre devient une guerre contre le peuple congolais,
- nécessité d'une approche régionale de la crise dans la région des Grands Lacs. Il faut intégrer la CEPGL (Communauté Economique des Pays de la régions des Grands Lacs) dans un ensemble plus grand pour garantir une stabilité dans la région,

Le rôle de l'UE a consisté jusqu'à présent dans les questions d'urgence. Il serait temps de prévoir des mécanismes à long terme pour mettre fin à la pauvreté et à la misère, car les morts par balles sont moins nombreux que les morts par la faim. Un mécanisme se met en place à l'Ouest de la RD Congo pour l'aide bi- et multilatérale, mais il ne faut pas oublier l'Est.

QUESTIONS-REPONSES

1) Oubli ou volonté de cacher le cas de l'Ituri avec le conflit Hema-Lendu. Me Firmin Yangambi n'a pas évoqué le cas de l'Ituri où le conflit Hema-Lendu a fait des milliers de morts suite à un complot ourdi par l'armée ougandaise qui a soutenu, armé et est intervenue aux côtés des Hema contre les Lendu. Pourquoi ce silence ou cet oubli ?

R). Me Firmin Yangambi. Non, ce n'est pas un oubli ni une volonté de passer ce fait sous silence. Puisqu'il fallait donner une vue globale d'ensemble, il était impossible d'évoquer toutes les situations, notamment cette situation très pénible. Il est regrettable que l'Ouganda soit en train de se livrer à une entreprise de pillage systématique des biens de la RDC d'une ampleur jamais atteinte auparavant, et cela au mépris de toutes les règles internationales et devant le silence assourdissant de la communauté internationale.

2) Abandon par la communauté internationale. Peut-on attendre un geste quelconque ou un signe de soutien de la communauté internationale qui, avec la complicité du Rwanda et de l'Ouganda, a enfoui des déchets toxiques dans une partie de l'Est de la RDC, comme en témoigne un militaire de l'AFDL-RCD?

R). Me Firmin Yangambi. L'information est nouvelle et doit être prise au sérieux. Si elle est avérée, elle mérite qu'on enquête sur cet acte criminel en lançant notamment une campagne d'information à ce sujet.

3) Alibi des Interahamwe. L'armée rwandaise se sert de l'alibi de la présence d'Interahamwe en RDC pour rester dans ce pays. Pourquoi ne déloge-t-elle pas les Interahamwe qui sont sur le territoire qu'elle contrôle depuis si longtemps ? Il est connu que le régime de Kigali infiltre des ex-FAR et des faux Interahamwe en RDC, ainsi que des prisonniers hutu qu'il sort de prison pour les envoyer comme chair à canon en RDC et justifier ainsi son maintien dans ce pays. Ce n'est pas de la sorte que le Rwanda peut convaincre que ses troupes sont en RDC pour sa sécurité.

R). Aloys Tegera. Les autorités de Kigali ont choisi de combattre les Interahamwe sur le sol congolais selon leur stratégie. Il est vrai qu'ils ont des agendas cachés. L'argument de la présence des Interahamwe leur sert effectivement d'alibi pour rester en RDC. Les Rwandais ne sont pas stupides pour devoir envoyer des prisonniers se battre en RDC. L'armée rwandaise comprend aussi de nombreux hutus, que la population congolaise assimile à des prisonniers déguisés en militaires rwandais.

4) Massacres et déplacements de populations congolaises pour y installer des Rwandais. Des informations dignes de foi font état de massacres et de déportations à grande échelle de populations congolaises dans certaines régions très riches où l'armée rwandaise installe des Rwandais venus tout droit du Rwanda et qui sont présentés comme des Banyamulenge. N'est-ce pas là des actes révoltants qui n'ont rien de commun avec le problème de la sécurité du Rwanda ?

R). Aloys Tegera. De telles informations ne nous sont pas connues. Ce qui est sûr, c'est que le Rwanda aide au déplacement des réfugiés de 1994, qui sortent des forêts de l'Est de la RD Congo et qui veulent retourner au Rwanda. Ce travail est fait avec le UNHCR et une ONG locale à Goma, TPD.

Thème 2:
« Quelle solidarité avec l'Afrique centrale ? » Réponses du Nord
Modérateur : Jozef De Witte

- Gérard Karlshausen : secrétaire politique du CNCD (Centre National de Coopération au Développement)

Les ONG du Nord veulent s'impliquer dans la sécurité et s'attaquer aux racines du mal qui déchire l'Afrique des Grands Lacs. Après une analyse globale de la situation et un constat sur les incohérences qui caractérisent la politique de l'UE sur ce sujet, elles ont formulé huit propositions-recommandations au gouvernement belge qui assure actuellement la présidence européenne :

1) Soutenir le retrait effectif et immédiat des troupes étrangères conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité,
2) Confier à une agence des Nations Unies la question de la «Démobilisation - Désarmement - Réhabilitation - Réinsertion» (DDRR) des milices conformément aux conclusions du Conseil Européen Affaires générales du 8 et 9 octobre 2001 et du Conseil de sécurité:
3) Renforcer le mandat de la MONUC, augmenter le nombre de ses militaires et effectuer immédiatement son déploiement sur le terrain,
4) Lutter contre les mécanismes qui perpétuent la guerre. Assurer le suivi du Rapport du Panel d'experts internationaux sur le pillages des richesses de la RDC. Mettre fin à certaines formes d'aide budgétaires non spécifiées à des pays en guerre,
5) Eradiquer le système d'impunité en soutenant la population et les ONG dans leur lutte pour le respect et la promotion des droits de l'homme
6) Jouer le moteur d'un véritable dialogue régional
7) Faire pression pour l'organisation d'une conférence régionale pour la paix et la sécurité dans la région
8) Annuler la dette des pays pauvres sans aucune conditionnalité dans le sens de celles imposées par le FMI et la Banque mondiale mais plutôt dans le sens que cette annulation profite aux populations locales.

En conclusion, les organisateurs attendent de la Présidence belge et de la Commission une communication avec une politique cohérente pour la région, qui devra être discutée au sein du parlement européen

- Bruno Gatta, Desk Officer RDC/Commission européenne

M. Gatta a centré son intervention sur l'aide de la Commission européenne à la RDC. La coopération bilatérale entre la CE et la RDC a duré de 1958 à 1992, année où le maréchal Mobutu a interrompu le processus démocratique. Cela ne signifie pas la coupure de tout lien, car à partir de 1995, l'aide s'est faite par le biais des ONG et de la société civile à travers des programmes de réhabilitation des routes, mais également à travers des aides d'urgence dans les domaines alimentaire, de la santé, de l'aide humanitaire. L'aide a concerné également des actions de développement à travers le cofinancement et dans le domaine des droits de l'homme. La CE a dépensé ainsi annuellement quelque 50 millions d'euros entre 1995 et 2000. Pour que cette aide ait un impact réel dans l'avenir sur la vie des populations, il serait préférable de stabiliser le pays car sans la stabilité, cette aide ne servira pas à grand chose. Bien que ne pouvant pas prendre des initiatives politiques, la CE a proposé des mesures à prendre dans le cas des pays en conflit, notamment dans le domaine de la reconstruction de l'Etat, le désarmement des milices et le programme de la DDRR. Quant à l'aide budgétaire, elle est revendiquée par les pays des PMA. A noter qu'au Rwanda, la Commission n'a pas fourni d'aide budgétaire. Pour les pays en conflit, la Commission a proposé au Conseil des mesures spécifiques dont le blocage de l'aide budgétaire non spécifiée.

- Frank De Coninck, Directeur Général au Ministère belge des Affaires étrangères - Présidence belge

La Belgique qui assure actuellement la présidence de l'UE essaie de mener une politique volontariste comme catalyseur de l'UE qui généralement manifeste une grande indifférence vis-à-vis de l'Afrique. Pour le moment, l'UE a pris la prévention des conflits comme l'axe principal de sa politique dans la région des Grands Lacs. Une réflexion intellectuelle et conceptuelle est en cours sur le «African ownership» qui suggère que l'Afrique doit chercher elle-même sa propre voie, ce qui ne doit pas signifier que l'UE lui demande de se débrouiller sans son concours. Grâce à la présidence belge de l'UE, des initiatives ont été prises qui ont abouti notamment à :

1) La Conférence du Caire dont un suivi s'est déroulé la semaine dernière à Bruxelles,
2) Une position commune de l'UE sur la prévention des conflits prise en mai 2001,
3) Le soutien aux Accords de Lusaka (RDC) et d'Arusha (Burundi)
4) Le soutien au Dialogue inter-congolais (financement , déclarations…..),
5) Le soutien au programme DDRR. (Sur ce point, il remarque que les NU ne sont pas encore parvenues à établir un concept),
6) Des pressions diverses sur les principaux acteurs dans la région des Grands Lacs pour un accord minimal qui permette à l'UE et aux NU d'intervenir pour la DDRR.

L'UE peut émettre des déclarations dont il ne faut pas mésestimer les effets, mais la politique de l'UE n'est pas parfaite car elle est tributaire des intérêts des Etats membres. Or, dans la réalité, il existe des divergences, parfois même très profondes, sur la lecture des événements qui surviennent dans la région (RDC, Rwanda et Burundi), et par conséquent sur les voies et moyens à proposer.

- Fodé Sylla, europarlementaire Gauche Unitaire Européenne/France

A partir de son expérience rwandaise (il était au Rwanda lorsque le génocide a eu lieu), il a émis des «réflexions singulières» :

1) La Belgique est un des rares pays qui a poursuivi et puni les coupables du génocide,
2) Il n'y a pas de véritable politique de coopération entre les pays riches et la région des Grands Lacs. On ne s'occupe pas des minorités Batwa qui pourtant souffrent beaucoup des conflits dans la région. A Durban, l'Europe était quasi absente. La France continue à exercer son «impérialisme» politique, militaire et culturel en Afrique. Les collusions entre les réseaux financiers, militaires et des mercenaires continuent,
3) La dette des pays pauvres doit être annulée et il est nécessaire de procéder à un audit sur cette question pour voir qui a profité de cette dette et à qui va profiter son annulation,
Il est temps de passer de paroles aux actes en revoyant complètement la philosophie de la coopération et en ne laissant de côté aucun conflit régional, tel celui du Burundi qui connaît une situation semblable à celle du Rwanda.

- Johan Van Hecke, Parti populaire européen/Belgique

L'Europe porte une lourde responsabilité dans le drame qui secoue l'Afrique (esclavage, colonisation, crimes contre l'humanité résultant de la guerre froide). Cela ne signifie pas que les dirigeants africains doivent être absous de tous les péchés car ils portent aussi leurs responsabilités (budgets importants consacrés à la guerre, intérêts personnels des dirigeants). Le PPE soutient :

1) La restauration de la souveraineté nationale et l'indépendance de la RDC et par conséquent la fin de l'exploitation des ressources par tous les pays présents,
2) Le retrait de la RDC de toutes les armées étrangères,
3) Le désarmement et la démobilisation de toutes les milices, suivant une réponse non militaire
4) Le déploiement rapide de la MONUC à l'Est de la RDC, avec création d'une zone-tampon,
5) L'implication de l'UE dans un vrai dialogue inter-congolais, qui doit également impliquer la diaspora,
6) La reprise de la coopération semi-structurelle avec la RDC.

Le développement de la RDC dépend évidemment de la situation des pays voisins. D'où la nécessité au sein du Parlement européen de mener un débat pour l'adoption d'une résolution relative à l'élaboration d'une politique cohérente de l'UE vis-à-vis de l'Afrique centrale. Dans le cadre des relations ACP/UE, un consensus pourrait avoir un grand poids diplomatique : il faut mettre en oeuvre des projets de résolutions. La Belgique doit y jouer un grand rôle car on ne saurait trop compter sur les pays qui vont assumer la présidence de l'UE après elle.

- Mme Lone Dybkjaer, Parti européen des Libéraux, Démocrates et réformateurs/Danemark

Au nom de son groupe politique au PE, l'ELDR, elle souscrit à tous les points avancés par Johan Van Hecke. Elle précise en outre que :

1) Le Danemark est le pays qui octroie le plus d'aide au développement avec 1% de son PIB
2) Le Danemark s'est impliqué dans la travail du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR)
3) Tous les pays de la région des Grands Lacs doivent se réconcilier
4) La RDC est dans un état chaotique à cause d'une classe de riches qui ne se soucie guère du développement du pays
5) Il faut soutenir très fort le processus de paix
6) Il faut encourager le «African ownership»
7) L'aide publique au développement ne suffit pas pour redresser la situation économique en RDC. Il faut que des entreprises privées s'y investissent
8) Les ONG doivent s'engager en RDC
9) Des initiatives doivent être prises au sein de l'UE pour imposer de bonnes solutions dans le cadre de l'Assemblée ACP.

- Message de Mme Francisca Sauquillo Perez del Arco, Parti des Socialistes Européens/Espagne - (livré par Thsimpanga Matala)

Le principe de l'appropriation africaine de son destin - «African owner ship» - est à soutenir et les Africains n'ont pas attendu des conseils d'autrui pour le faire. Les Africains doivent se mettre autour d'une table, sortir des discours passionnés, négocier et se faire mutuellement des concessions. Les Congolais doivent s'entendre pour résoudre leurs problèmes et non pas attendre des solutions venues d'ailleurs.

- Message écrit du Groupe des Verts

1) Lente amélioration de la situation dans la région des Grands Lacs
2) Crainte que le conflit de la région des Grands Lacs passe au second plan compte tenu de l'actualité (attentats aux USA)
3) Demande d'une Conférence internationale sur la sécurité, la stabilité et le développement
4) Demande du retrait de la RDC de toutes les armées étrangères
5) Demande du respect et de la mise en pratique des Accords de Lusaka
6) Nécessité d'une consultation de toute la population congolaise sur le processus de démocratisation
7) Nécessité pour l'UE de développer des mécanismes pour identifier tous les acteurs à même de soutenir le processus de paix
8) Nécessité pour l'UE et les Eglises d'établir un dialogue avec le gouvernement pour le rétablissement de la dignité humaine
9) Nécessité pour l'UE d'adopter une position commune sur le rapport de l'ONU relatif à l'exploitation illégale des richesses de la RDC
10) Nécessité de combattre la prolifération des « small arms »
11) Nécessité d'un examen de l'UE sur ses engagements dans le passé pour la prévention des conflits et d'une amélioration de cet engagement dans l'avenir et de manière cohérente
12) Nécessité pour l'UE de réfléchir sur la politique du développement et l'établissement d'une connexion entre le niveau macro et la réalité du terrain.

- Message écrit d'Emma Bonino

1) Regrette que l'UE a beaucoup négligé l'Afrique centrale au cours de ces dernières années
2) Dette de l'UE envers l'Afrique du fait que la diplomatie européenne s'est montrée impuissante face aux crimes, aux violences, aux exactions et aux abus de toute sorte dont sont victimes depuis bien longtemps les populations de l'Afrique centrale
3) Dénonciation de la diplomatie internationale qui cherche à résoudre les crises et les conflits dans la région des Grands Lacs en misant sur des «hommes forts» ou prétendus tels au lieu de l'établissement «d'institutions fortes», démocratiques et transparentes, fondées sur le consentement des peuples concernés
4) Conviction qu'aucune aide et qu'aucun transfert de ressources ne profiteront aux populations de la région des Grands Lacs prises en otages par les conflits locaux tant que l'Europe ne réussira pas à inter-agir politiquement avec toutes les personnes, physiques et morales, qui partagent les valeurs et les principes de la déclaration universelle des droits de l'homme, de la démocratie et de l'Etat de droit.

Questions - Réponses

1) Vœux pieux de l'UE. Comment, au-delà des vœux pieux, réaliser la cohérence de la politique de l'UE ?

R). Gérard Karlshausen. Rôle des ONG du Nord et du Sud. Il faut le faire au niveau régional en dépassant un certain nombre de tabous, de présupposés. Les ONG du Nord et du Sud doivent faire participer la population locale pour faire entendre sa voix et lancer un message clair en direction de l'UE, ce qui pourra la mettre sur la bonne voie. Le chemin sera encore long compte tenu de la cacophonie qui existe au sein de l'UE.

2) Danger de dérive sous le prétexte de spécificité. Insister sur la spécificité de chaque pays dans l'octroi de l'aide aux pays de la région des Grands Lacs risque de continuer le statu quo dans la politique actuelle du deux poids deux mesures. Ainsi on condamne Mobutu et on soutient Kagame alors que tous les deux sont des dictateurs. Cette politique de spécificité risque aussi de constituer le danger de continuer à ballotter les Africains dans tous les sens en même temps qu'on prétend que les Africains doivent se prendre en charge.

R). Bruno Gatta. Pour un discours positif . On ne peut comparer Kagame à Mobutu. Il faut un discours positif dans l'approche des problèmes et non négatif. La CE s'occupe d'une centaine des pays du monde. On ne peut pas les mettre tous dans un même moule sans tenir compte de leurs différences. Certes, la crise de la région des Grands Lacs est peut-être la plus grande crise du monde actuel. Mais elle ne peut pas faire oublier qu'il y a d'autres régions du monde qui ont besoin aussi d'aide. La CE sait que toute l'aide n'arrive pas toujours aux vrais destinataires. Mais elle y tend.

3) Se tromper de solution. N'est-ce pas utopique de penser que l'implication des entreprises privées européennes dans la région des Grands Lacs vont aider à résoudre les conflits et à développer ces pays quand on sait que ces entreprises sont d'abord guidées par le profit ?

R). Mme Lone Dybkjaer. L'intervention des entreprises privées est nécessaire. Les entreprise privées ne vont pas résoudre les crises mais participer à la reconstruction. Il faut d'abord la paix. Mais il faut aussi un «partenariat des entreprises» pour seconder l'aide bilatérale qui ne peut jamais résoudre tous les problèmes économiques de ces pays.

Fin