Ecartelé entre les conséquences des révélations scandaleuses voire accablantes du rapport et les avancées significatives du processus de paix, ces derniers semaines en Rdc, l’Organe Exécutif des Nations Unies a du mal à franchir le rubicon. Le Conseil de sécurité est présentement entre les eaux pour se déterminer définitivement sur un rapport qui dérange au plus haut point.Il s’agit du rapport de l’enquête initié le 20 septembre dernier par l’organisation des Nations-Unies sur le pillage (systématique) des ressources naturelles de la Rdc par les parties impliquées dans la guerre qui déchire ce vaste et gigantesque pays de l’Afrique centrale, voici pratiquement deux ans et demi.
On se souvient qu’à l’époque, un groupe de cinq experts, pilotés par l’ancienne ministre ivoirienne de l’Energie, Mme Safiatou Ba-N’Daw avait été chargé pour faire la lumière sur l’exploitation honteuses des richesses d’un pays aux fins de la guerre. Ce groupe avait six mois pour établir la véracité des accusations sur ce pillage orchestré des belligérants et des armées étrangères impliquées au conflit en Rdc.
Toujours à cette époque, certains pays, le France en tête, défendaient la thèse selon laquelle les richesses, notamment minières de l’Ex-Zaïre, constituent le nerf de la guerre, comme c’est le cas en Angola et en Sierra-Léone. M Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies qui par ailleurs avait suscité des enquêtes aux résultats explosifs dans ces pays, avait pris le devant pour soutenir l’idée d’une commission d’enquête indépendante concernant le Congo.
Six mois après, le rapport du groupe d’experts onusiens, repris sur 150 pages, est fin prêt et soumis au crible du Conseil de sécurité qui devait en toute connaissance de cause, le rendre public depuis fin mars 2001. Mais alors, la date a été maintes fois repoussée jusqu’à la deuxième semaine d’avril. Officiellement, ce retard serait dû à la longueur du document qui doit être ramené de cent cinquante à une trentaine de pages pour en faciliter la lecture. La consigne est de rigueur aux Nations-Unies : aucune information sur le rapport ne doit filtrer de son contenu avant sa publication officielle.
L’on comprend aisément que le rapport tel que présenté au Conseil de Sécurité, divise les membres de ce dernier. La pierre d’achoppement réside dans les points de vues défendus par les uns et les autres, notamment les divergences que suscitent d’un côté les révélations explosives, accablantes voire scandaleuses concernant certains pays impliqués dans la guerre en Rdc et le l’autre, les avancées significatives et inimaginables il y a encore quelques semaines que vient de connaître le processus de paix dans ce pays, après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila le 16 janvier 2001.
Les résultats d’un rapport qui dérange comme nous l’avons dit plus haut les tergiversations de l’Organisation internationale à publier ce document tant attendu s’expliqueraient par le caractère scandaleux et dénonciateur des résultats de l’enquête sur le pillage systématique des richesses d’un pays indépendant et souverain, par des responsables, des armées et des individus, impliqués dans ce conflit aux multiples conséquences pour la population.
Même si le Conseil de sécurité fait de la discrétion la règle d’or, les quelques extraits du rapport publiés par le quotidien français le Monde, sont révélateurs de la gêne que suscitent les conclusions des enquêteurs. Tenez, selon les informations disponibles sur internet, les conclusions des enquêteurs constituent une charge particulièrement sévère contre le Rwanda et l’Ouganda, même si le Zimbabwe et l’Angola, alliés de Kinshasa, n’en sortent pas totalement blanchis. D’après l’une des versions préliminaires des enquêteurs communiquée début mars, au secrétariat général de l’Onu, la plupart des accusations portées ces derniers mois contre Kigali et Kampala sont confirmées, avec force détails.Il s’agit spécialement du pillage par l’armée d’occupation rwandaise et le Rcd/Goma, le mouvement rebelle qu’elle contrôle, des ressources de coltan et de cassitérite (produits dont le Rwanda n’est pas producteur) accumulées par la Société minière du Kivu.
Cette opération, à en croire le quotidien français qui reprend les extraits du rapport, aurait permis à Bizima Kahara, l’un des dirigeants du Rcd et au Rwanda d’obtenir un prêt de cent millions de dollars dans des banques américaines.
Plusieurs banques de Kisangani, au nord-est du pays dans la province orientale, auraient été pillées par des militaires du Rwanda et du RCD, avant leur départ pour Bunia, une ville proche de la frontière ougandaise. La même version préliminaire ferait état également du démantèlement et du transport d’installations industrielles par le RCD. Elle confirme en outre l’implication de l’armée ougandaise (UPDF) dans l’exploitation de l’or et du bois congolais en particulier à Watsa et autour de Bunia.
A Kisangani, haut lieu du commerce du diamant, la plus importante société négociante appartient à des proches du président ougandais Museveni. Les gemmes présentées comme provenant du Centre-afrique, du Rwanda ou de l’Ouganda, sont ensuite commercialisées à Anvers (Belgique), la "Mecque" du diamant, de quoi financer l’effort de guerre. Le Rwanda, de son côté, aurait même créé un "Congo desk", chargé de gérer les revenus des activités commerciales des militaires du Rwanda dans l’Est de la RDC. Il percevrait une taxe de 5% sur les bénéfices de l’exploitation du coltan, estimés à 90 millions de US dollars en trois ans.
C’est tout simplement scandaleux, car l’opération sert à financer l’effort de guerre et à maintenir les dépenses militaires officielles à un niveau acceptable pour les bailleurs de fonds.
Le travail des enquêteurs nous renseigne également sur les sociétés et personnalités impliquées dans ces multiples trafics. Il s’agit par exemple d’une entreprise russe, Elit Mater, à laquelle Kigali aurait confié une concession de coltan, contre bien entendu des armes transportées par les avions de la compagnie de Victor Bout. Ce dernier, bien connu des services de l’Interpol, est déjà cité dans deux précédents rapports de l’Onu, comme l’un des principaux pourvoyeurs d’armes aux rebelles de l’Unita et à ceux du RUF sierra léonais.
Le côté gouvernemental n’est pas épargné. Pour ce qui est de la partie gouvernementale, on note peu d’informations nouvelles, si ce n’est la conformation des l’enrichissement de hautes personnalités zimbabwéennes parmi lesquelles le ministre de la Défense et l’existence de plusieurs contrats dont les principaux bénéficiaires seraient les proches de feu président Kabila que d’aucuns qualifient des faucons du régime.L’Angola, dont le rôle crucial joué au coté du gouvernement est à nouveau mis à nu, n’est pas non plus épargné par les enquêteurs. Luanda aurait, après la mort du Président Kabila, fourni gratuitement du carburant à Kinshasa et payé les soldes des militaires congolais.
Toutes ces informations les unes plus accablantes que les autres, dénotent un fait ; le Congo a été systématiquement pillé en faveur des armées étrangères du Rwanda et de l’Ouganda. Et malgré le semblant de compassion que semble témoigner l’Organisation des Nations-Unies à ces deux pays pour "recompenser leur volonté de se retirer de la RDC", le peuple congolais n’oubliera pas voire jamais ce qu’il faudra considérer dans l’avenir comme un contentieux rwando-ougando-congolais. Et tôt ou tard, l’Ouganda et le Rwanda répondront de leurs crimes en terre congolaise.