Discours au corps diplomatique

Kinshasa, le 28 août 99

Mesdames, Messieurs les Membres du Gouvernement de Salut Public,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les représentants des organisations du Système des Nations Unies,
Mesdames, Messieurs et distingués invités…

Nous sommes en Afrique Centrale, à la fin du vingtième siècle. Un groupe de soldats de l'armée régulière d'un pays africain provoque des troubles et cause des centaines de morts dans un pays voisin. Ils abattent de sang froid, sur un aéroport, une quarantaine d'officiers autochtones qui leur résistent. Ils montent une opération de piraterie aérienne sur le territoire hôte. Ils prennent en otage un barrage hydro-électrique et coupent l'approvisionnement de la population locale en eau et électricité. Des renforts envahissent impunément le pays ami, massacrent les populations, pillent les ressources, détruisent les infrastructures industrielles, sèment la désolation et la mort.

Ceci, Mesdames et Messieurs, n'est pas le résumé d'un mauvais roman de série B, mais bien la description de faits inimaginables et révoltants, survenus sur le sol congolais depuis le 2 août 1998. La ville congolaise de Kisangani est définitivement entrée dans l'histoire, comme dorénavant la ville questionneuse de la Cour Internationale de Justice, dont le catéchisme basique s'écrit : « Entre Etats indépendants, le respect de la souveraineté territoriale est une des bases essentielles des rapports internationaux ». Pour le monde qui, selon toute vraisemblance, tisse la culture du regard sur le Congo sans rien voir, rappelons qu'il s'est déroulé des événements sans exemple dans l'histoire mondiale récente ! Les armées de deux pays étrangers, en l'occurrence l'Ouganda et le Rwanda, s'y sont affrontées à l'arme lourde, y faisant plusieurs centaines de victimes civiles congolaises, qui ne demandaient qu'à vivre en paix.

Seulement voilà : le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi prétendent toujours qu'ils envahissent la République Démocratique du Congo pour résoudre un problème d'insécurité à leurs frontières.

Aujourd'hui, quel homme de bon sens peut encore se hasarder à soutenir cette thèse de l'insécurité comme raison de l'agression de notre pays? Quel homme politique responsable peut se ridiculiser à voir dans les dirigeants rwandais et ougandais les victimes d'une prétendue insécurité partant de la République Démocratique du Congo? Qui peut oser se prévaloir de ses propres turpitudes en accordant crédit à la fameuse thèse de la poursuite des « interahamwé » en territoire congolais ? Qui peut avilir sa capacité d'analyse et de compréhension des choses en évoquant une rébellion congolaise au centre du conflit qui ensanglante la République Démocratique du Congo, sachant qu'aucun congolais n'a été associé ni à la réunion des belligérants à Kisangani, ni à la rencontre de cessez-le-feu à Kampala?

Le professeur Jef Maton, universitaire belge, a dit tout haut ce que les faits prouvent tous les jours… Ce que le gouvernement et le peuple congolais dénoncent à tue-tête, depuis treize mois, nonobstant que la communauté internationale ne cesse, elle, de s'engoncer dans la négation de l'évidence. L'universitaire belge a dit, je cite : « aussi bien le cuivre et le cobalt du Katanga que l'or et autres métaux précieux du Kivu et le diamant du Kasaï sont les enjeux d'un conflit qu'on peut qualifier de guerre des matières premières… L'or et le café Arabica du Kivu sont transférés au Rwanda et à l'Ouganda… Au reste, les armées de ces deux pays sont en partie financées par des aides bilatérales et multilatérales… Fin de citation.

Quoiqu'il en soit… Puisqu'on parle de l'insécurité dans la sous-région des Grands Lacs… Et bien : parlons-en…

Comment ne pas, en évoquant l'insécurité dans cette partie de l'Afrique, féliciter la vision anticipatoire du Président Laurent-Désiré KABILA qui, dans un premier temps, avait mis en place, à l'Est de notre pays, une commission nationale de pacification et de réconciliation, pour expurger la culture de la haine et de la violence, rapprocher les communautés et les ethnies qui peuplent la Sous-région des Grands Lacs, dans la perspective d'y recréer la convivialité et le bon voisinage ?

Dans un deuxième temps, le Président Laurent Désiré Kabila avait pris l'initiative de l'organisation du Sommet sur la solidarité et le développement, destiné à résoudre la question de la sécurité aux frontières, du développement de la région et de la création des mécanismes d'une paix durable.

Contre toute attente, le Sommet du 12 mai 1998, après avoir d'ores et déjà obtenu les appuis et contributions de bien des pays et organismes internationaux, comme le PNUD, fut boycotté par nos agresseurs d'aujourd'hui. La préméditation de l'agression avait donc déjà commencé. Le complot était bel et bien en place.

Messieurs Museveni et Kagame ont choisi la barbarie, la où le Président Kabila voulait mettre en application la résolution 2625 de l'Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 24 octobre 1970, à laquelle se greffe la Déclaration relative aux principes du droit international, dont les prescrits proclament solennellement le principe que les Etats règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger.

Pourquoi avoir agressé le Congo juste au moment où, il faut le souligner, comme le rappelle l'universitaire belge, Jef Maton : « toutes les variables-clé sur le plan macro-économique évoluaient dans la bonne direction : entre mi-97 et mi-98, l'inflation était maîtrisée, les prix se stabilisaient et le cours entre le Franc congolais et le dollars américain était stable. Cela prouve que le gouvernement congolais est en mesure de régler convenablement ses affaires intérieures… » Fin de citation…

Ils ont dit : poursuite des « interahamwé »…

Mesdames, Messieurs,
Des officiers rwandais et ougandais ont assumé des responsabilités dans l'armée et les services de sécurité de la République Démocratique du Congo. Mieux : l'armée congolaise était dirigée par un rwandais. Mais au lieu de travailler à instaurer la sécurité commune… Au lieu de traquer, débusquer et déférer devant des tribunaux ad hoc ces interahamwé qu'ils recherchent avec acharnement aujourd'hui, ces sujets rwandais et ougandais montaient, dans la félonie la plus perfide, l'opération de l'agression contre la République Démocratique du Congo.

Par ailleurs, qu'il soit bien dit et entendu, dans le dossier de remise et reprise, consécutif à son retour à Kigali, le commandant rwandais qui dirigeait l'armée congolaise n'a laissé apparaître aucune trace de la moindre ombre de survivance d'une quelconque poche de résistance « interahamwé » en République Démocratique du Congo.

Un constat d'évidence s'impose : les problèmes aux frontières ne sont pas la cause de l'insécurité au Rwanda, en Ouganda et au Burundi.

Nul ne peut en douter : les causes de l'insécurité dans ces pays sont à trouver à l'intérieur de ces pays mêmes. Un peu d'immersion dans l'histoire de ces pays suffit pour arroser cette assertion de tout crédit.

L'histoire du Rwanda, pays jumeau du Burundi, est une tragique illustration de la culture de la haine, de la purification ethnique, de l'exclusion et des cycles de massacres.
José KAGABO, historien rwandais, lie la situation explosive qu'il appelle, je cite: "le déchirement du tissu social" au Rwanda, à des facteurs internes. Il affirme, je récite: "Vers le milieu du mois de novembre 1959, la cristallisation du mécontentement et des tensions sociales culmina en affrontement armé. Les partis politiques adoptèrent des positions radicales, dès la mort de Rudahigwa et l'intronisation de Kigeri V, son jeune frère et successeur. Le Rwanda fut transformé en bain de sang". Fin de citation.

Ces tensions sont même exportées hors des frontières du Rwanda, comme le rappelle le chercheur belge Jean-Claude WILLAME. Je cite encore : "outre sa forte population urbaine, le Kivu Central comportait depuis 1958 une série de camps de réfugiés rwandais, établis le long de la frontière du Congo, ils constituèrent un foyer de trouble et d'agitation permanent". Fin de citation.

Cette tragique culture de la haine et de la violence est bien illustrée par Colette BRAECKMAN dans son ouvrage au titre pertinent et significatif: "Terreur africaine… ", publié en 1996.La journaliste belge fait remonter les racines de la violence à un lointain passé et aux cloisons ethniques exacerbés par des matamores incapables d'offrir à la nation rwandaise un projet de concorde entre Tutsi et Hutu. Au Burundi, Madame Braeckman rappelle le génocide de 1972. Après une incursion des assaillants Hutu contre l'hégémonie Tutsi, ceux-ci décident "d'administrer une leçon définitive aux Hutus". Je cite Madame Braeckman: "Une leçon qui décapitera une génération d'intellectuels et de militaires et assoira pour vingt ans l'hégémonie des Tutsis… "… Ministres, directeurs généraux, prêtres, religieuses, étudiants du secondaire sont exécutés. Des candidats officiers en stage à l'étranger sont rappelés au pays pour y être liquidés. Partout, les assassins sont dotés de listes. Ils éliminent des classes entières d'élèves et des promotions d'étudiants. Chaque nuit, des camions chargés de cadavres traversent Bujumbura. La traque des Hutus ravage tout le pays et fera 100.000 à 200.000 morts". Fin de citation.

Braeckman décrit, selon ses propres expressions, " l'apartheid de fait", "le racisme diffus qui imprègne la société burundaise… Car les Hutus ont été chassés de l'armée, les officiers sont Tutsis à 100%…Ils sont aussi écartés de la fonction publique et des postes de direction ". Et d'autres chercheurs, parmi lesquels Filip Reijntiens, démontrent l'application de ce modèle socio-politique au Rwanda.

La tragédie de 1994 est présente dans toutes les mémoires. Mais elle ne peut occulter celles qui ont suivi, prouvant que les anciennes victimes sont devenues à leur tour des bourreaux. Madame Braeckman signale : " Massacres de civils à l'arboretum de Butare, assassinats du côté de Byumba dans le Nord du pays, liquidation de hutus rassemblés en des lieux publics avec la promesse d'être ramenés chez eux, vengeances pratiquées par de jeunes soldats à l'égard de voisins soupçonnés d'avoir participé aux tueries et aux pillages… Il paraît difficilement contestable que la victoire militaire du FPR, sur fond de génocide, ne se soit pas accompagnée d'exactions, d'actes de vengeance… affirme Madame Braeckman. La tuerie de Kibeho eut lieu dans des conditions dramatiques : 2500 soldats de l'Armée Patriotique Rwandaise, dans la semaine du 20 avril, encerclèrent le camp et coupèrent eau potable et nourriture aux réfugiés…et les militaires ouvrirent le feu, à bout portant, sur la foule des civils, abattant les malheureux qui tentaient de fuir le cercle de l'enfer." Fin de citation.

La cause de la présente guerre n'est donc pas l'insécurité aux frontières mais l'hégémonisme des équipes au pouvoir à Kigali et à Kampala. La solution, ce n'est pas l'agression contre la République Démocratique du Congo… C'est la démocratisation et le dialogue national au Rwanda et en Ouganda. La solution, ce n'est pas les massacres des congolais, mais la concorde et la fraternité entre Hutu et Tutsi au Rwanda.La solution, ce n'est pas le pillage des richesses du Congo, c'est un projet de nouvelle citoyenneté et de développement économique pour les rwandais, par les rwandais, et pour l'intérêt supérieur du Rwanda, et dans la transcendance civique des clivages ethniques. Il est temps, maintenant que le monde s'approche du troisième millénaire, que le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi commencent à expérimenter les défis et projets des nations civilisées, tels que consignés dans les chartes de l'OUA et de l'ONU.

La Deuxième guerre mondiale en Europe a montré où pouvaient conduire les velléités hégémoniques… Aujourd'hui, il serait criminel de minimiser certains facteurs qui, après avoir provoqué la Deuxième guerre mondiale, sont à l'œuvre dans la région des Grands Lacs en conflit. La tyrannie ethnocratique fait des ravages au Rwanda et au Burundi, depuis des décennies, comme il y a cinquante ans, lorsque le nazisme imposa l'idée de l'aryen surhomme.

Au nom de cette idéologie raciste des peuples ont été massacrés, réprimés, déportés, comme nous le voyons aujourd'hui sur le sol congolais. Les pillages de nos ressources rappellent également ceux perpétrés par les nazis dans les différents pays occupés. L'utilisation de la diaspora rwandaise au Congo est une réédition de l'aventure hitlérienne dans les Sudètes, cette partie de l'ancienne Tchécoslovaquie où vivaient des citoyens d'origine allemande. Le nazisme utilisa ceux-ci pour déstabiliser et envahir la Tchécoslovaquie, et en fin de compte eux-mêmes furent rapatriés en Allemagne. Ainsi l'histoire se répète mais le monde est-il plus conscient et plus responsable?

Dès le début de l'agression, le gouvernement congolais a pris soin de respecter la ré-glementation internationale et d'impliquer la communauté internationale dans la recherche de la paix. Si le cri des congolais assassinés par une cruauté gratuite, si les gémissements des vieillards molestés et brûlés vifs, si le regard des enfants privés de vaccin, si tout cela n'émeut pas l'Occident défenseur des droits de l'homme, il doit au moins entendre la supplique des enfants du Congo qui se sont adressés au chef d'Etat le plus puissant du monde… Il doit comprendre l'interpellation des anciens combattants, qui ont versé leur sang pour la liberté de l'Occident. Il doit prêter l'oreille au chœur ulcéré des hommes d'Eglise congolais qui, avec tout notre peuple, dénonce son silence. Il doit commencer à se remettre en cause lorsque les étudiants congolais crient : trop c'est trop. Que dire du sens qu'il faut donner au message des chrétiens congolais, qui déclament: "la paix se gagne, battons-nous pour la reconquérir". Et enfin, quelle leçon doit-on tirer de l'enrôlement volontariste de la jeunesse congolaise dans l'armée ?

Face à l'ambiguïté et au silence complice de la Communauté internationale, ce qui est en cause, c'est la crédibilité de l'ONU et l'utilité de l'OUA. Il n'y a pas de doute que les agresseurs du Congo testent le degré d'indignation et de réaction de la Communauté internationale. En sabotant les Accords de Lusaka, en signant leur soi-disant cessez-le-feu à Kisangani, en rompant la trêve décrétée par l'ONU pour faciliter la vaccination des enfants, le Rwanda et l'Ouganda se moquent des instances qui maintiennent un minimum d'ordre dans les relations internationales.

Devant les timides réactions du monde entier, quelle étape vont-ils encore franchir dans la provocation et les violations du droit des peuples? Sur ce point encore ils ont été à bonne école et sont édifiés par les atermoiements de l'Europe qui laissa Hitler s'armer, envahir la Pologne et annexer l'Autriche avant de foncer sur la France et la Belgique.

Sans doute l'hégémonisme rwando-ougandais ne franchira pas les murs de l'Occident opulent et paisible mais l'instabilité et la violence qu'il entretient dans la région des Grands Lacs aura des retombées sur la paix dans un monde de plus en plus interdépendant.

Pourquoi ne pas arrêter la spirale de la violence pendant qu'il est encore possible de le faire?

Pourquoi se faire complice du mépris de la vie humaine au détriment d'un peuple dont le seul tort est d'avoir été hospitalier?

Pourquoi faire fi des leçons de l'histoire qui nous enseigne que le sang appelle le sang, que l'exportation au Congo de la haine séculaire des Rwandais prépare un embrasement in-contrôlable?

Encourager ces agresseurs dans leur aventure meurtrière n'est-ce pas aggraver les tensions belliqueuses déjà anciennes dans la région?

Prendre le parti d'un groupuscule ethnocratique qui veut régner par la baïonnette et le sang, n'est-ce pas condamner l'Afrique Centrale au cycle infernal de la violence et de la vengeance?

Vous, membres du Conseil de sécurité, le peuple congolais s'adresse à vous au nom du combat que vous avez mené contre le nazisme. Ce combat était universel parce qu'il était celui du bien contre le mal. Il était universel parce que d'autres peuples y ont participé, particulièrement le peuple congolais, qui a déployé un immense effort de guerre et fourni l'uranium de la première bombe atomique.

Ce peuple congolais a aussi participé à votre victoire contre le nazisme par des campagnes militaires de ses fils gravées en lettres d'or dans l'histoire mondiale:

- le 11 mars 1941, pour la libération de la Belgique, la Force Publique congolaise remporte la victoire d'Asosa;
- le 23 mars, elle conquiert Gambela;
- le 3 juillet 1941, Saïo
- en juillet 1942, un corps expéditionnaire de treize mille personnes est envoyé au Nigéria pour combattre au Dahomey vichyste;
- en 1943, huit mille personnes sont dépêchées au Moyen-Orient.

Mais aujourd'hui que le peuple congolais fait face au même mal que vous avez combattu, pourquoi êtes-vous indifférents à son sort? Pourquoi le laisser mener seul le combat qu'il a mené avec vous pour mettre fin à l'hégémonisme, au racisme et au mépris de la vie? Votre victoire contre le nazisme et les différents textes que vous avez initiés au nom de l'humanisme font de vous la conscience morale de l'humanité.

Mais pourquoi êtes-vous sourds aux cris d'un peuple agressé?

Le 14 décembre 1974, l'Assemblée Générale de l'ONU a produit la résolution 3314 pour définir l'agression. Aux termes de cette résolution, l'agression est présentée comme, je cite "l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat." Fin de citation.

Parmi les actes considérés comme preuves de l'agression, la même résolution mentionne à l'article 3:

a) L'invasion ou l'attaque du territoire d'un Etat par les forces armées d'un autre Etat, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle attaque, ou toute annexion par l'emploi de la force du territoire ou d'une partie du territoire d'un autre Etat;
b) Le bombardement, par les forces armées d'un Etat, du territoire d'un autre Etat, ou l'emploi de toutes armes par un Etat contre le territoire d'un autre Etat;
c) Le blocus des ports ou des côtes d'un Etat par les forces armées d'un autre Etat;
d) L'attaque par les forces armées d'un Etat contre les forces armées terrestres, navales ou aériennes, ou la marine et l'aviation civiles d'un autre Etat;
g) l'envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre Etat d'une gravité telle qu'ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s'engager d'une manière substantielle dans une telle action.

Là où un seul acte suffit à qualifier une agression comme le veut la résolution, les cinq actes ci-haut énumérés ont été et sont commis impunément par la coalition rwando-ougandaise. Et jamais la communauté internationale n'a reconnu à l'agression contre le Congo ce qualificatif. L'Ouganda s'est permis de débaptiser notre Province Orientale, le Rwanda a franchi un pas de plus dans ses manœuvres machiavéliques visant à faire de l'Est de la République Démocratique du Congo un marche pied utile. Il faudrait une bonne dose de naïveté ou de mauvaise foi pour ne pas voir des velléités annexionnistes dans le prétendu jumelage entre la petite cité de Kigali et la province du Sud-Kivu.

Les congolais et les congolaises ont déjà dit : défendre, au péril de nos vies, l'intégrité et la souveraineté de notre pays, c'est notre devoir sacré. Seul un entêtement schizophrénique peut laisser croire que les Congolais laisseront une partie de leur territoire devenir une zone tampon pour le Rwanda ou un territoire disputé entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo. Hitler l'a tenté avec l'Alsace-Lorraine, ses délires annexionnistes ont été démentis.

Si Museveni et Kagame ont la témérité de s'assoir sur la Charte de l'ONU, la Communauté internationale n'a pas le droit d'être inconsciente face aux conséquences d'une telle provocation.

Le peuple congolais voit bien la différence dans l'attitude de la communauté internationale :
- Sommets de Victoria Falls 1 et 2, Ile Maurice, Durban: indifférence.
- Sommet de Paris: réactions timides.
- Sommet de Libreville: résolutions sans suite.

Certes la résolution 1234 a atténué l'ambiguïté et constitué une avancée significative. Mais depuis cette prise de position, l'ONU aurait dû passer à la vitesse supérieure, comme le recommande sa Charte dans son chapitre 7, les actes d'agression et de crimes contre l'humanité étant si probants et établis.

Monsieur le Rapporteur Spécial, vous êtes venu en République Démocratique du Congo le 16 février 1999. Dans les deux provinces du Kivu, vous avez constaté des graves atrocités et violations des droits de l'homme, objet de votre rapport conformément à la résolution 1999/61, adoptée par la Commission des droits de l'homme à sa cinquante cinquième session. Les auteurs sont connus. Et cependant, les choses traînent. Nous attendons toujours une commission d'enquête, pour clarifier les nombreux massacres et violations des droits de l'homme clairement établis.

Monsieur le Rapporteur Spécial,
Comment comprendre que l'injonction du Secrétaire Général de l'ONU, décrétant une trêve pour faciliter la campagne de vaccination des enfants soit aussi ignorée et bafouée par les agresseurs rwando-ougandais sans susciter la moindre indignation de l'opinion internationale? Le chapitre 7 de la Charte de l'ONU préconise des actions appropriées en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression.

Face à ces actes, la Charte recommande d'abord des pressions pacifiques du genre: je cite "...l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et autres moyens de communications, ainsi que la rupture des relations diplomatiques." (Article 13) Fin de citation.

Or, que constatons-nous? Le Rwanda et l'Ouganda sont massivement subventionnés et financés. Qui est assez naïf pour croire que ces aides ne sont pas un soutien à leur trésor de guerre, une aide au massacre des congolais?

Le même chapitre 7 de la Charte de l'ONU recommande le recours à la force, lorsque les pressions pacifiques s'avèrent infructueuses. Alors, comment expliquer la passivité de l'ONU et de la Communauté internationale dans la tragédie congolaise?

Concluons.
Les graves événements qui frappent notre pays et endeuillent notre peuple innocent, sont un test de crédibilité pour l'ONU. Le peuple congolais ne peut accepter indéfiniment de faire les frais des problèmes d'autres pays et d'autres peuples. Il serait naïf de croire qu'il consente à vivre sous la botte de ceux qui, avec un cynisme diabolique, empêche la vaccination d'enfants innocents, brûlent vifs des vieillards et des handicapés et abattent de sang froid quiconque leur oppose un brin de dignité. A cette culture de la barbarie sans nom et de la déshumanisation radicale, étrangère à notre peuple et manifestement cautionnée par la communauté internationale, le peuple congolais oppose un non catégorique, résolu et définitif. L'hospitalité des congolais à l'égard des ressortissants de certains pays voisins est payée aujourd'hui par l'agression, les massacres, les viols, les pillages et l'arrogance. L'ONU va-t-elle aussi mal récompenser le peuple congolais de sa confiance dans cette institution? L'histoire le dira. En prenant partie, ouvertement ou non, pour des régimes ethnocratiques, militaristes, hégémonistes et tyranniques, la communauté internationale fait un pari dangereux et hypothèque gravement la paix en Afrique. L'arrogance de nos agresseurs, leurs exactions et leurs atrocités ont ressoudé notre peuple et lui ont fait prendre conscience du danger mortel qu'il court.

Ceux qui misaient sur sa faiblesse ont été désillusionnés à Kinshasa en août et septembre 1998. Cette résistance-là, que beaucoup de peuples connaissent pour l'avoir pratiquée, est une leçon à retenir par les partisans de la paix dans la région des Grands Lacs. Le peuple congolais se bat et se battra toujours pour sa liberté et sa dignité. S'il veut la sécurité commune, il refuse la sujétion… S'il désire la solidarité avec d'autres peuples, il refuse l'asservissement. La faiblesse actuelle du Congo n'est que le reflet du réveil claudiquant d'une nation affaiblie par plus de 32 ans de gabegie, de prédation, d'incurie et de corruption généralisée. Lorsque ce géant se remettra pleinement debout, à l'image de l'élan pris le 17 mai 1999, l'agression rwando-ougandaise subira, à n'en point douter, un juste retour de choses réparateur, à la mesure de la témérité de cette agression. Des milliers de congolais ulcérés par la trahison de certains voisins et déçus par les atermoiements de la communauté internationale, ne voient plus qu'un sens à leur vie: verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour que le Congo garde son intégrité historique et s'attelle à assurer la prospérité de ses enfants. Ce combat-là est sacré et comme d'autres peuples menacés, les congolais le mènent et le mèneront. Et quels que soient la durée et les sacrifices, ils l'emporteront.

Didier MUMENGI
Ministre de l'Information et du Tourisme